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Une création de l’art appliqué est-elle soumise au « principe de traçabilité » qui s’impose pour de la viande bovine ?

Source : CA Paris, pôle 5, ch. 1, 23 sept. 2014, n° 12/22790 : JurisData n° 2014-024889

Résumé : C’est à tort qu’un tribunal a estimé que n’étant pas établie la chaîne de dévolution des droits entre un auteur, une société cessionnaire desdits droits et une société tenant de cette dernière le droit de fabriquer et de commercialiser le modèle, l’action en contrefaçon était irrecevable.

Mais en l’absence de revendication de l’auteur, l’exploitation de l’œuvre par une personne physique ou morale, sous son nom, fait présumer à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon que cette personne est titulaire du droit de propriété incorporelle de l’auteur.

Observations

La cour infirme une décision du tribunal de grande instance qui avait estimé que le fait qu’une société exploitait un modèle, justifiant de son exploitation par des documents ayant date certaine et identifiant le modèle, n’était pas suffisant pour qu’elle puisse prétendre à la propriété des droits d’auteur. Encore fallait-il qu’elle justifie non seulement détenir régulièrement les droits de la société qui lui avait cédé les droits patrimoniaux, mais qu’elle démontre encore que l’auteur, qui était connu, ait lui-même cédé ses droits à la société intermédiaire. En un mot il fallait assurer la traçabilité des droits, en identifier l’origine et en reconstituer le parcours.

Rien dans la loi ne justifie cependant cette exigence.

Cette question est l’une des plus importantes qui se pose dans le domaine des dessins et des modèles, s’agissant de savoir à quelles conditions une société peut invoquer à titre originaire un droit de création.

En un premier temps la jurisprudence, après des hésitations, a admis qu’une personne morale pouvait invoquer les dispositions du livre I du Code de la propriété intellectuelle, mais à la condition que l’œuvre soit collective et qu’elle en apporte la justification (Cass. 1re civ., 24 mars 1993, n° 91-17.887 : JCP G 1993, II, 22085).

Les œuvres des arts appliqués sont, en effet, dans la presque totalité des cas des œuvres collectives : elles ont été conçues à l’initiative et sous la direction d’une entreprise ou d’une société et leur élaboration, qui donne lieu à diverses étapes au cours desquelles s’instaurent des discussions en vue de concevoir un produit, met en cause plusieurs personnes : un dessinateur qui établira les plans, puis à partir de ces plans un maquettiste interviendra presque toujours, un ou plusieurs prototypes seront alors mis au point, lesquels feront l’objet de modifications successives généralement décidées au cours de réunions, sous la direction de la société.

Puis, la Cour de cassation a admis que la présomption de propriété résultant d’une exploitation non équivoque et paisible du modèle, s’appliquait quelle que soit la qualification de l’œuvre. La Cour de cassation s’est prononcée en ce sens dans un second arrêt du 24 mars 1993 (Cass. 1re civ., 24 mars 1993, n° 91-16.543 : JurisData n° 1993-000565 ; JCP G 1993, II, 22085). La jurisprudence de la cour d’appel de Paris est constante (F. et P. Greffe, Traité des dessins et modèles, 9è éd. 2014, n° 698).

Et la Cour de cassation dans un arrêt du 20 juin 2006 (Cass. com., 20 juin 2006, n° 04-20.776 : PIBD 2006, n° 837, III, p. 628) a jugé que dès lors qu’une société exploitait des modèles sous son nom et que l’auteur ne faisait valoir aucune revendication contre elle cette société était présumée titulaire, à l’encontre des tiers poursuivis en contrefaçon, de droits indépendants de la réalité de la cession ou du bien fondé de la revendication personnelle de l’auteur (dans le même sens Cass. 1re civ., 15 nov. 2010, n° 09-66.160 : JurisData n° 2010-021417 ; PIBD 2011, n° 931, III, p. 44).

Plus récemment la Cour de cassation a encore eu l’occasion de préciser qu’en l’absence de revendication de la part des auteurs, « fussent-ils identifiés », l’exploitation d’un modèle par une personne morale sous son nom faisait présumer, à l’égard des tiers poursuivis en contrefaçon, que cette personne était titulaire sur l’œuvre, qu’elle soit ou non collective, du droit de propriété incorporelle de l’auteur (Cass. com., 23 sept. 2008, n° 07-17.210 : JurisData n° 2008-045142 ; PIBD 2008, n° 883, III, p. 611. – dans le même sens, CA Paris, pôle 5, ch. 1, 20 mars 2013, n° 11/14436  : JurisData n° 2013-005847 ; PIBD 2013, n° 986, III, p. 1273).

Il faut ainsi distinguer deux rapports. Celui de la société à l’égard du contrefacteur, laquelle bénéficie de la présomption consacrée par la jurisprudence, et les rapports que la société peut avoir avec l’auteur personne physique. Ces derniers rapports ne concernent pas l’éventuel contrefacteur, qui est irrecevable à prétendre notamment à la nullité des contrats que peut avoir conclu la société avec l’auteur, lequel est seul en droit de contester la validité de la cession qu’il a consentie.

L’arrêt commenté doit être pleinement approuvé. Il est conforme aux dispositions de la loi. Il apporte aux sociétés une meilleure protection en évitant des difficultés inutiles.  Ainsi, récemment, la Cour de cassation dans un arrêt du 10 juillet 2014 a jugé qu’une personne morale n’avait pas non plus à justifier du processus créatif du modèle qu’elle exploitait (Cass. 1re civ., 10 juill. 2014, n° 13-16.465 : JurisData n° 2014-016353 ; Propr. industr. 2014, comm. 72, nos obs.).

Avocat à la Cour
Professeur au CEIPI

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