L’année 2020 n’aura pas apporté de grands bouleversements dans le domaine des dessins et modèles mais elle confirme utilement un certain nombre de principes.
La CJUE a condamné, en droit d’auteur, comme elle l’avait fait en droit des dessins et modèles et en droit des marques, le critère de la multiplicité des formes.
Le cumul a fait l’objet d’une question écrite au ministre de la culture dont la réponse est rassurante.
Un projet de réforme du droit des dessins et modèles a, par ailleurs, été initié par la commission européenne.
Plusieurs décisions de la cour d’appel de Paris ont, enfin, validé des constats d’achat effectués avec la collaboration de l’avocat et du conseil en propriété industrielle de la partie requérante.
1°) Présomption de titularité de droits – Recevabilité à agir
Dans un litige qui concernait un dessin de dentelle invoqué au titre du droit d’auteur, la Cour d’appel de Paris a estimé que le demandeur est fondé à revendiquer la présomption de titularité même si ce dessin a été commercialisé antérieurement par une de ses filiales, la propriété dudit dessin lui ayant été ensuite transférée : « en l’absence de revendication par un tiers, et notamment de sa filiale, le demandeur qui justifie exploiter la dentelle sous son nom, antérieurement aux faits reprochés et alors que sa filiale en a cessé la commercialisation, est présumé, à l’égard de la société recherchée pour contrefaçon, être titulaire sur ce dessin du droit de propriété incorporelle de l’auteur » (CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 20 nov. 2020, n° 2019/06739, PIBD 2021, n° 1152, III, 6).
La Cour rappelle ainsi que pour qu’une personne morale puisse invoquer et bénéficier de la présomption de titularité, il suffit que l’exploitation dont elle se prévaut ne soit pas équivoque, cette présomption ne pouvant être valablement combattue que si un tiers revendique la qualité d’auteur, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, la filiale, à l’origine de la création, ne revendiquant aucun droit.
Il nous semble, en revanche, qu’est critiquable l’arrêt qu’avait rendu quelques mois plus tôt la 1ère chambre du Pôle 5 de la Cour d’appel de Paris, dans une affaire qui concernait le même dentellier revendiquant des droits d’auteur sur un autre dessin de dentelle, qui avait également été divulgué antérieurement par sa filiale avant de lui être transféré, la Cour ayant estimé que « la persistance de l’usage du nom de la société tierce et la référence initiale, moins de deux années avant les faits de contrefaçon allégués et alors que cette société poursuivait son activité dans le même domaine, révèle une équivoque quant à la détermination de la personne morale exploitant l’œuvre en cause » (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 29 janv. 2019, n° 17/05619, PIBD 2020, n° 1112, III, 144).
En l’absence de revendication par sa filiale, la présomption de titularité aurait dû bénéficier à la personne morale, l’exploitation qu’elle avait faite du dessin de dentelle allégué ne laissant place à aucune incertitude.
Rappelons, par ailleurs, que la règle selon laquelle une personne morale qui exploite une œuvre sous son nom, de façon non équivoque, jouit d’une présomption de propriété, ne concerne que les droits patrimoniaux dont elle est investie et non, sauf s’il s’agit d’une œuvre collective, le droit moral de l’auteur (CA Paris, Pôle 5, ch.2, 9 oct. 2020 n° 18/27357, Propr. Industr., déc. 2020, page 27, nos obs.).
Depuis le 1er janvier 2020, les fins de non-recevoir tendant à faire déclarer son adversaire irrecevable en sa demande relèvent de la compétence du juge de la mise en état, ce qui risque de retarder l’issue des procédures en contrefaçon, le défaut de qualité à agir étant très souvent invoqué comme moyen de défense en la matière (La réforme de la dévolution des fins de non-recevoir ou l’échec annoncé d’une volonté de simplification, Charles de Haas, Comm. com. électr. n° 10, oct. 2020).
Les plaideurs ne pourront, en tout cas, pas soulever, comme fin de non-recevoir, le défaut d’originalité, l’originalité des œuvres éligibles à la protection par le droit d’auteur n’étant pas une condition de la recevabilité de l’action, comme l’a encore rappelé récemment la Cour d’appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 22 sept. 2020, n° 18/10181. – dans le même sens, Cass. com., 29 janv. 2013, n° 11-27.351. – CA Paris, Pôle 5, ch., 1, 29 janv. 2019 n° 17/11182. – CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 30 mai 2017, n° 14/12017).
2°) Preuve de l’antériorité
Les documents communiqués à titre d’antériorité doivent être incontestables, ce qui signifie qu’ils doivent avoir date certaine et identifier dans ses caractéristiques le dessin ou le modèle antérieur.
C’est ce que rappelle le TUE dans une décision du 27 février 2020 : « la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur ne peut pas être démontrée par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une divulgation effective du dessin ou modèle antérieur sur le marché. En outre les éléments de preuve fournis par le demandeur en nullité doivent être appréciés les uns par rapport aux autres (…) Enfin, pour apprécier la valeur probante d’un document, il convient de vérifier la vraisemblance et la véracité de l’information qui y est contenu. Il faut tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration et de son destinataire, ainsi que se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable » (TUE, 27 fév. 2020, Aff. T259/19, point 22. – dans le même sens, TUE, 14 juill. 2016, Aff. T420/15, point 27. – CA Douai, 1ère ch., 2ème sect., 14 mai 2020, n° 2017/00516).
3°) Effort de création – Originalité
▲ Combinaison d’éléments connus ou banals
Infirmant une décision du Tribunal, la Cour d‘appel de Paris juge qu’un modèle de couteau, dont elle décrit très précisément les caractéristiques, doit être protégé par le droit d’auteur, la combinaison des différents éléments qui le compose procédant d’un effort créateur (CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 29 janv. 2021, n° 19/04589).
L’on sait en effet que, dans le domaine des arts appliqués, la plupart des créations consistent à réunir et à combiner entre eux des éléments ornementaux connus de sorte que l’originalité résultera, le plus souvent, de la combinaison elle-même.
Exiger, en revanche, de l’auteur qu’il démontre l’originalité, comme l’avait fait le Tribunal, revient en réalité à fermer purement et simplement toute protection par le droit d’auteur aux modèles, une telle preuve ne pouvant être définie, s’agissant d’un jugement de valeur, jugement qui peut varier selon le goût de chacun, ou selon le sentiment que l’on peut se faire de l’originalité.
C’est au juge qu’il incombe de porter cette appréciation.
C’est pourquoi la jurisprudence considère qu’il appartient à celui qui entend se prévaloir de droits d’auteur de caractériser l’originalité de l’œuvre revendiquée, c’est-à-dire de dépeindre les éléments constitutifs de son modèle et c’est à partir de cette description que le juge sera alors en mesure d’apprécier, en tenant compte de l’art antérieur, si celui-ci procède ou non d’un effort créateur caractérisant l’originalité (notamment, CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 19 janv. 2016, n° 14/10676. – CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 15 mai 2018, n° 16/15441 ; P. et F. Greffe, Traité des dessins et des modèles, 10ème éd., n° 228).
▲ Photographies pour lesquelles l’auteur a eu un comportement passif
Ne sont pas protégeables des photographies représentant des personnes « prises sur le vif », au cours d’une conversation ou d’une réunion publique, « sans que le photographe n’ait pu imposer ses choix, tant sur leur emplacement, leur pose et le moment auquel a été prise la scène » (CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 4 fév. 2020, n° 18/00970. – CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 22 sept 2020 n° 18/19018).
Les photographies en cause étaient en effet dépourvues d’originalité, leurs auteurs ne pouvant se prévaloir d’une quelconque mise en scène, ni d’un cadrage particulier, pas plus que du choix d’un angle de vue, c’est-à-dire d’un effort de création.
De même, un photographe ayant suivi des directives très précises de son client, pour reproduire « au plus proche » des présentations de produits cosmétiques qui lui avaient été soumises, ne démontre pas avoir « fait des choix personnels et arbitraires du sujet, de la mise en scène de l’objet photographié, de la composition, du cadrage, de l’angle de prise de vue ou des modifications après la prise du cliché, traduisant une démarche propre et une recherche esthétique, révélant ses compétences et sa sensibilité personnelle » (CA Paris, Pôle 5 ch 2, 22 janvier 2021 n°19/10814).
La Cour estime ainsi que le photographe échoue à caractériser l’originalité des clichés qu’il revendiquait, faute d’avoir disposé d’une réelle autonomie créatrice. Les instructions qu’il avait reçues excluaient en effet qu’il puisse revendiquer des droits d’auteur sur ces clichés.
La jurisprudence estime qu’en pareille hypothèse la personne qui reçoit des directives très précises d’un tiers ne participe pas à la réalisation de l’œuvre de sorte qu’elle ne peut se prévaloir de la qualité d’auteur (CA Paris, 4ème ch, 6 avril 2005 n°2004/05743). De même, il a été jugé qu’une personne qui se contente de donner des directives d’ordre général « …. ne participe pas elle-même à la réalisation de la forme de l’œuvre et ne saurait être considérée comme auteur ou co-auteur d’une œuvre de l’esprit, ajoutant que le même raisonnement vaut en matière de dessins et modèles » (CA Douai, 1ère ch, 2ème sect, 8 juin 2017 n°2015/04535).
▲ Composition
Sollicitant la protection de pochettes de disques par le droit d’auteur, la société UNIVERSAL prétendait que « la composition de ces pochettes est le fruit d’un effort de création » et qu’elles présenteraient ainsi « indépendamment des photos qui les illustrent, une originalité qui en fait des œuvres protégées par le droit d’auteur ».
Sur renvoi après cassation (Cass. 1ère civ, 10 avr. 2019, n° 18.13.612), la Cour d’appel la déboute de son action estimant qu’elle « ne caractérise pas l’originalité des œuvres qu’elle revendique….» (CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 29 janv. 2021, n° 19/09543).
Il est parfois difficile de distinguer l’idée, en tant que telle insusceptible d’appropriation, de sa réalisation matérielle. La cour a ici estimé que les illustrations des pochettes de disques en cause ne constituaient pas des compositions originales éligibles à la protection par le droit d’auteur.
4°) Convention de Berne
En vertu de l’article 2 §7 de la Convention de Berne, lorsqu’une œuvre n’est protégée que comme dessin ou modèle dans son pays d’origine, les autres Etats Unionistes doivent la protéger à ce titre mais peuvent refuser de la protéger au titre du droit d’auteur.
La Cour de cassation approuve une décision de la Cour d’appel ayant appliqué cette disposition et refusé, en conséquence, toute protection au titre du droit d’auteur aux célèbres modèles de chaise et de fauteuil Knoll, ceux-ci ne bénéficiant pas dans leur pays d’origine, les Etats-Unis, de la protection à ce titre (Cass. 1ère civ., 7 oct. 2020, n° 2018/19441 ; Propr. Industr, Déc 2020, comm. 71, N.Kapyrina . – CA Paris, 13 avr. 2018, n° 2015/05833).
5°) Forme asservie à la fonction. Originalité
La CJUE a été saisie des questions préjudicielles suivantes par le Tribunal de l’entreprise de Liège (CJUE, 11 juin 2020, aff. C-833/18, JC Galloux et P. Kamina, droit des dessins et modèles internes et communautaires, Dalloz, 6 août 2020, n°28, 1593 ; Propr. Industr, Sept 2020, repère 8, C.Le Stanc ; Propr. industr. Oct 2020, chr, F. Glaize p 32) :
1) Le droit de l’Union, et plus particulièrement la directive [2001/29], laquelle fixe notamment les différents droits exclusifs reconnus aux titulaires de droit d’auteur à ses articles 2 à 5, doit-il être interprété comme excluant de la protection par le droit d’auteur les œuvres dont la forme est nécessaire pour aboutir à un résultat technique ?
2) Afin d’apprécier le caractère nécessaire d’une forme pour aboutir à un résultat technique, faut-il avoir égard aux critères suivants :
- L’existence d’autres formes possibles permettant d’aboutir au même résultat technique ?
- L’efficacité de la forme pour aboutir audit résultat ?
- La volonté du prétendu contrefacteur d’aboutir à ce résultat ?
- L’existence d’un brevet antérieur, aujourd’hui expiré, sur le procédé permettant d’aboutir au résultat technique recherché ? »
Le modèle concerné par cette procédure est un vélo comportant un système de pliage antérieurement protégé par un brevet tombé dans le domaine public.
L’originalité du vélo, revendiqué au titre du droit d’auteur, était contestée en défense, le poursuivi en contrefaçon faisant valoir que sa forme était imposée par la solution technique recherchée.
Dans ses conclusions, l’avocat général a soutenu que :
- « …le critère général veut qu’il ne soit pas possible de protéger par des droits d’auteur les œuvres (objets) des arts appliqués dont la forme est conditionnée par la fonction. Si l’apparence de l’une de ces œuvres est dictée exclusivement par sa fonction technique en tant que facteur déterminant, celle-ci ne pourra bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur » (concl. av. gén, 6 févr. 2020, aff. C-833/18, pt 65) ;
- « la logique de l’application de ce critère aux droits d’auteur est la même que celle qui sous-tend les dessins et modèles et les marques » (ibid, pt 66) ;
- « ….à l’inverse, le seul fait qu’un dessin fasse apparaitre un certain nombre d’éléments fonctionnels ne l’empêche pas de bénéficier de ladite protection au titre du droit d’auteur » (ibid, pt 67) ;
- et faisant référence à l’arrêt DOCERAM du 8 mars 2018 (CJUE, 8 mars 2018, aff. C-395/16, Doceram GmbH c/ Ceram Tec GmbH : JurisData n° 2018-007863 ; PIBD 2018, n° 1092, III, p. 286 ; Propr. industr. 2018, étude 7, F. Pollaud-Dulian ; Comm. com. électr. 2018, comm. 42, Chr. Caron ; Propr. industr. 2018, comm. 36, nos obs), il ajoute que « la solution pour les dessins et modèles peut être extrapolée, mutadis mutandis, pour discerner le degré d’originalité des « œuvres » à application industrielle dont les créateurs demandent la protection au titre du droit d’auteur » (point 88).
La Cour de justice va suivre ce raisonnement en rappelant tout d’abord qu’ « un objet satisfaisant à la condition d’originalité peut bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur, quand bien même la réalisation de celui-ci a été déterminée par des considérations techniques, pour autant qu’une telle détermination n’a pas empêché l’auteur de refléter sa personnalité dans cet objet en manifestant des choix libres et créatifs ».
Il est inutile d’insister sur cette première proposition. La Cour d’appel de Paris s’est déjà prononcée à plusieurs reprises dans le même sens en soulignant “qu’une forme qui répond à un souci ornemental et qui porte l’empreinte de la personnalité de celui qui la trace peut aussi servir à une fonction utilitaire” ajoutant que “l’exercice d’une fonction utilitaire n’est pas exclusif d’une protection par le droit d’auteur dès lors que la forme adoptée révèle un apport original” (CA Paris, pôle 5-2, 6 nov 2009 n°08/21238 : PIBD 2010, n° 913, III, p. 158)).
Il est en effet évident qu’un modèle a nécessairement une destination utilitaire, comme il est constitué par des éléments qui répondent à cette fonction (P. et F. Greffe, Traité des dessins et des modèles, 10ème éd., n° 168. – CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 27 mai 2011, n° 09/01115. – CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 30 juin 2015, n° 14/05098 : PIBD 2016, n° 1044, III, p. 179 ; Propr. industr. 2016, comm. 80, F. Greffe. – CA Paris, 10 nov. 2016, n° 13/07381 : JuridData n° 2015-031124 ; PIBD 2016, n° 1041, III, p. 49. – Cass. crim, 4 avr. 2018, n° 16-87.414 : JurisData n° 2018-005152 ; PIBD 2018, n° 1095, III, p. 388. – CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 27 mars 2018, n° 16/24404 : PIBD 2018, n° 1093, III, p. 318).
La Cour de justice indique ensuite que “dans le cas où la forme du produit est uniquement dictée par sa fonction technique, ledit produit ne pourrait relever de la protection au titre du droit d’auteur” (point 33) et que “…seule l’originalité du produit concerné doit être appréciée, l’existence d’autres formes possibles permettant d’aboutir au même résultat technique, si elle permet de constater l’existence d’une possibilité de choix, n’est pas déterminante pour apprécier les facteurs ayant guidé le choix effectué par le créateur….” (ibid., pt 35).
Ce faisant, la Cour condamne à nouveau sans détour, comme elle l’avait fait en matière de modèles (CJUE, 8 mars 2018, aff C 395/16 préc.) et en droit des marques (CJCE, 18 juin 2002, aff C 299/99 : Traité des dessins et des modèles préc., n° 154.- CJUE, 14 sept 2010, aff C-48/09 : Propr. industr. 2010, comm. 72, A. Folliard-Monguiral. – CJUE, 16 sept 2015, aff C-215/14, prop.industr.2015, comm 77, A folliard-Mongiral), le critère de la multiplicité des formes.
Le caractère inséparable de la forme et du résultat industriel recherché doit donc être examiné par rapport à la forme sur laquelle le droit d’appropriation est revendiqué même s’il existe d’autres formes procurant le même résultat, l’existence de formes alternatives ne constituant qu’un indice pour apprécier la liberté de choix du créateur.
6°) Cumul – Question écrite
Madame la Ministre de la culture a répondu à la question posée par le Sénateur YUNG l’interrogeant sur l’arrêt COFEMEL (CJUE, 12 sept. 2019, aff. C-683/17 : Comm. com. électr. 2019, comm. 65, C. Caron ; Propr. intell. 2019 n° 73, p. 82, P. Massot ; Propr. industr. 2020, chr. 10, nos obs §11 ; Propr. industr. Oct 2020, chr, F. Glaize p 33) et notamment sur le fait de savoir si, selon elle, « (…) l’interprétation retenue par la CJUE n’est pas de nature à remettre en cause la règle, traditionnelle en France, du cumul total de protection entre le droit d’auteur et le droit spécifique sur les dessins et modèles, règle issue de la théorie de l’unité de l’art ».
Celle-ci a répondu le 31 décembre 2020 (PIBD 2021, n° 1152, I, p. 4) en rappelant que la France était très attachée au principe du cumul et que cet arrêt ne le remettait nullement en cause dans la mesure où « il se borne à réaffirmer les conditions d’application propre des protections telles qu’elles sont déjà connues en France ».
La Ministre rappelle également que le cumul n’est pas automatique, « La protection par le droit des dessins et modèles détient un caractère utilitaire, visant à la rentabilisation d’un investissement sur une période limitée, alors que la protection par le droit d’auteur, d’une durée plus longue, s’applique à une œuvre que la jurisprudence européenne définit en substance comme étant une création intellectuelle qui reflète la personnalité de son auteur en manifestant les choix libres et créatifs de celui-ci », en précisant que l’Etat français saura se montrer vigilant sur ce sujet dans le cadre du projet de réforme du droit des dessins et modèles initiée par la Commission européenne (Propr. industr., janv. 2021, comm. 7, N. Kapyrina, Réforme en vue).
7°) Contrefaçon – Preuve de la contrefaçon – Constat d’achat – Saisie-contrefaçon. Article 145 du CPC
▲ Constat d’achat
La Cour d’appel de Paris s’est prononcée à deux reprises, en 2020, sur la validité de procès-verbaux de constat d’achat en nuançant l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 janvier 2017 qui, il est vrai, a fait l’objet de vives critiques (Cass. 1ère civ., 25 janv. 2017, n° 15-25.210, G-Star Raw c/ H&M Hennes & Mauritz : JurisDAta n°2017-000971 ; RTD com. 2017, n° 1, note F. Pollaud-Dulian ; Propr. industr. 2017, comm. 27, J.-P. Gasnier ; Propr. industr. 2017, chron. 9, nos obs).
Selon la Cour d’appel de Paris :« La Cour européenne des droits de l’homme, dans le prolongement de l’égalité des armes et au nom du droit au procès équitable, impose que les preuves soient recueillies et exploitées loyalement sans pour autant aller jusqu’à imposer ou refuser certains modes de preuve indépendamment de toute autre considération. Ce qui importe est que le procès ait présenté un caractère équitable dans son ensemble, y compris au regard des modalités d’ordre probatoire. La Convention ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel et il revient aux juridictions internes d’apprécier notamment la pertinence des éléments de preuve dont une partie souhaite la production, et en cela de vérifier si la manière dont la preuve a été administrée, a revêtu le caractère équitable » (CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 29 janv. 2021, n° 19/04589. – CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 28 fév. 2020 n° 18/03683 : Propr. industr. nov. 2020, comm. 65 et nos obs.).
Ainsi il importe peu de savoir si l’acheteur est ou non indépendant du requérant.
L’acheteur peut donc être un avocat stagiaire du cabinet d’avocat du requérant (CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 28 fév. 2020, n° 18/03683 préc ; Procédure, n° 2, fév. 2021, chron. 2, N. Bouche) ou même le conseil en propriété industriel de celui-ci, la Cour ayant souligné, dans sa seconde décision de janvier 2021, que sa présence aux côtés de l’huissier « (…) n’est pas de nature à remettre en cause la loyauté de l’élément de preuve que constitue le procès-verbal de constat (…) » ce d’autant moins que « la profession de conseil en propriété industrielle est une profession réglementée soumise à des règles déontologiques et qu’il n’est ni le préposé ni le représentant de la requérante ».
Il ne parait en effet pas compréhensible de remettre en cause un procès-verbal de constat au seul motif que l’achat a été réalisé par une personne qui n’est pas indépendante du requérant car cela revient, sans raison, à faire peser sur celle-ci une présomption de mauvaise foi.
Outre que l’huissier est présent, on ne conçoit pas, en effet, comment les personnes l’accompagnant pourrait lui remettre un objet qui n’est pas en vente sur le lieu du constat.
Ces deux arrêts de la Cour d’appel de Paris sont remarquablement motivés et il reste à espérer que la Cour de cassation reviendra sur sa jurisprudence.
▲ Saisie-contrefaçon – Rétractation de l’ordonnance
Dans le cadre d’une procédure en référé rétractation d’une ordonnance rendue sur requête ayant autorisé une saisie-contrefaçon, le juge de la rétractation, qui est investi des attributions du juge ayant rendu l’ordonnance, peut prendre en compte non seulement les éléments de preuve produits au soutien de la requête mais également ceux fournis ultérieurement (Cass. com., 4 mars 2020, n° 17-28.598 ; Procédure, n° 2, fév. 2021, chron. 2, N. Bouche).
Cette décision, qui a été rendue en droit des marques, s’applique également au droit des dessins et modèles, les textes étant les mêmes.
▲ Article 145 du Code de procédure civile
En matière de concurrence déloyale, il est possible de solliciter une mesure d’instruction sous couvert d’une assignation en référé ou d’une requête relevant de l’article 145 du CPC aux termes duquel : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
Ces mesures ne peuvent toutefois être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances justifient qu’elles ne le soient pas contradictoirement.
Or, bien souvent, la mission qui sera confiée à l’huissier aura plus de chance d’être exécutée si le défendeur n’a pas été averti, les éléments de preuve risquant sinon de disparaître.
C’est pourquoi la Cour de cassation a admis le recours à la procédure sur requête dans une affaire où le demandeur avait exposé «…..qu’il était fondé à ne pas appeler la partie adverse pour éviter des manœuvres destinées à faire échec à la démonstration des faits de concurrence déloyale, justifiant que l’effet de surprise était une condition de réussite de la mesure sollicitée » (Cass. 2ème civ., 30 janv. 2020, n° 18-24-855 : Propr. industr., oct. 2020, n° 10, p. 46, Un an de jurisprudence, J. Larrieu).
8°) Contrefaçon : personnes responsables, dirigeant et simple acquéreur
Pour que la responsabilité d’un dirigeant de société puisse être engagée, sur le terrain civil, il faut qu’il soit démontré qu’il a commis une faute personnelle séparable de ses fonctions.
Les agissements doivent donc être « d’une particulière gravité en raison de [leur] nature, durée et de [leurs] conséquences », avoir été commis « intentionnellement et personnellement » et « dans des conditions incompatibles avec l’exercice normal de ses fonctions de gérant… », comme le rappelle la Cour d’appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 10 nov. 2020, n° 18/02205).
S’agissant par ailleurs d’une personne qui avait acheté, pour son propre compte, un portail jugé contrefaisant, la Cour estime que sa responsabilité ne peut être engagée que si sa mauvaise foi est établie (CA Nancy, 1ère ch., 29 oct. 2019, n° 18/02572).
9°) DMCNE
Une entreprise avait été déclarée irrecevable à agir par la Cour d’appel, sur le fondement du droit des dessins et des modèles communautaires non enregistrés, au motif qu’elle avait procédé « … à une description » du modèle de jupe qu’elle invoquait sans préciser «….. à quel niveau se situe son apport individuel par rapport aux modèles existant sur le marché ».
Or il n’appartient pas, contrairement à ce qu’avait estimé la Cour d’appel, au titulaire d’un DMCNE de démontrer que son modèle présente un caractère individuel.
Comme le rappelle la cour de cassation qui censure l’arrêt (Cass. com. 14 oct. 2020, n° 18.1.426), la Cour de justice, en réponse à une question préjudicielle et interprétant l’article 85 §2 du règlement (CE) n° 6/2202, a dit pour droit que le titulaire d’un DMCNE n’est « pas tenu de prouver que celui-ci présente un caractère individuel (…) mais doit seulement indiquer en quoi ledit dessin ou modèle présente un tel caractère, c’est-à-dire identifier le ou les éléments du dessin ou modèle concerné qui (…) lui confère ce caractère » (CJUE, 19 juin 2014, aff. C-345/13).
On ne peut en effet exiger du demandeur à l’action en contrefaçon qu’il démontre que son dessin ou modèle présente un caractère individuel. Il lui appartient seulement de décrire ses éléments constitutifs.
Dans son arrêt du 14 octobre 2020, la Cour de cassation reproche également à la Cour d’appel d’avoir apprécié le caractère individuel « par référence à l’impression globale produite par une combinaison d’éléments isolés, tirés de plusieurs modèles antérieurs, sans procéder à la comparaison d’ensemble du modèle de jupe et des modèles antérieurs opposés, considérés, chacun, individuellement en tous leurs éléments pris dans leur combinaison… », reprenant ici, dans les mêmes termes, la solution dégagée par la CJUE interprétant l’article 6 du règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001 (CJUE, 19 juin 2014, aff. C-345/13, préc.).
10°) Prescription – Tolérance
▲ Prescription
Une demande en nullité d’un modèle par voie d’exception, comme moyen de défense, n’est pas soumise à prescription.
La Cour d’appel de Paris a ainsi jugé que « l’adage « quae temporalia »…selon lequel l’exception de nullité, à la différence de l’action en nullité, est perpétuelle, ne voit pas son application limitée au seul droit civil des contrats, cette exception pouvant être mise en œuvre pour faire échec à une demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas été exécuté, mais aussi pour soulever reconventionnellement la nullité d’un modèle dont la contrefaçon est alléguée » (CA Paris, 22 sept. 2020, n° 18/10181).
Il convient, en outre, de rappeler que depuis la loi du 23 mai 2019, dite loi « Pacte », la règle de l’imprescriptibilité de l’action en nullité d’un dessin ou modèle, d’une marque ou d’un brevet, a été consacrée (art. L. 521-3-2 du CPI : « L’action en nullité d’un dessin ou modèle n’est soumise à aucun délai de prescription » ; Réforme en profondeur de la prescription des actions en annulation et en contrefaçon des titres nationaux de propriété industrielle, J. Passa, Propr. industr., juillet-août 2019, comm. 16, p.13).
▲ Tolérance
La tolérance d’un auteur n’a aucun effet en droit d’auteur, la renonciation à un droit ne se présumant jamais, et l’auteur pouvant mettre fin à tout instant à l’utilisation qu’il a tolérée de ses œuvres (CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 19 juin 2020, n° 18/00305).
Il demeure que les juges peuvent prendre en considération la passivité et l’indifférence de l’auteur pour apprécier les dommages et intérêts.
11°) Contrefaçon : exclusion des éléments exclusivement asservis a une fonction technique
Si la contrefaçon s’apprécie selon les ressemblances et non les différences, les éléments purement fonctionnels d’un modèle, qui doivent par définition être exclus du champ de la protection, ne peuvent être pris en compte.
Cette règle a été rappelé par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 24 novembre 2020 : « La comparaison présidant à l’appréciation de l’impression globale suscitée chez l’utilisateur ou l’observateur averti s’opère entre les représentations figurant au dépôt, indépendamment des conditions de commercialisation, et l’apparence du produit commercialisé par la défenderesse. Elle est réalisée en considération de toutes les caractéristiques dominantes prises dans leur combinaison et non isolément à l’exception de celles exclusivement asservies à une fonction technique » (CA Paris, Pôle 5, Ch. 1, 24 nov. 2020, n° 18/23477).
12°) Concurrence déloyale
▲ Faits distincts
Dans un arrêt rendu au mois d’octobre 2020, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence selon laquelle l’action en concurrence déloyale peut être fondée sur les mêmes faits que ceux allégués au soutien d’une action en contrefaçon qui a été rejetée pour défaut de constitution de droit privatif (Cass., 1ère civ., 7 oct. 2020, n° 19-11-258 : Comm. com. électr. déc 2020, comm. 86, P. Kamina; Contrats-Concurrence-Consommation n° 12, déc. 2020, Comm. 171 note Marie Malaurie-Vignal. – Cass. com, 14 nov. 2018, n° 16.25.692 : C. Thomas-Raquin et M. le Le Guerec, L’articulation de l’action en concurrence déloyale avec l’action en contrefaçon , Comm. com. électr. 2019, pat 2. – Cass. com., 20 sept. 2016, n° 15-10.939. – Cass. com., 7 juin 2016, n° 14-26-950).
La cour de cassation rappelle ainsi périodiquement que l’action en contrefaçon de modèle concerne l’atteinte à un droit privatif sans tenir compte de l’existence d’un risque de confusion, de sorte que si l’action en contrefaçon n’est pas admise, le juge, saisi subsidiairement d’une action en concurrence déloyale, devra apprécier si la copie ne constitue pas une faute en raison du risque de confusion qui pourrait, sans raison ni justification, en résulter.
▲ Effet de gamme
La notion d’effet de gamme est aujourd’hui appréciée avec rigueur par la jurisprudence (notamment, Cass. com. 8 juin 2017, n° 15-20-966 : Contrat-Concurrence-Consommation n° 8-9, août 2017 comm. 170, M. Malaurie-Vignal), comme le confirme une décision de la Cour d’appel de Paris qui déboute une société de son action en concurrence déloyale en estimant que la commercialisation d’une même gamme de produits, en l’espèce des articles de table, « est insuffisante à caractériser la commission d’actes de concurrence déloyale distincts de ceux sanctionnés au titre de la contrefaçon » (CA Paris, 22 sept. 2020, Pôle 5, ch. 1, n° 18/23057).
Il est vrai que la commercialisation d’un ensemble, qui était en l’espèce composé d’assiettes creuses, plates et de soucoupes à café, constitue une pratique usuelle dans le domaine des arts de la table.
▲ Prescription
La SPA avait assigné l’association Défense de l’animal, en concurrence déloyale et parasitaire, lui reprochant de semer la confusion dans l’esprit du public par l’usage du signe SPA.
En défense, cette association avait soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil.
La Cour d’appel avait déclaré l’action de la SPA recevable, estimant que la concurrence déloyale et parasitaire constitue un quasi-délit continu, de sorte que la prescription ne commence à courir que le jour où les faits incriminés ont cessé.
La Cour de cassation n’est pas de cet avis et estime qu’ « en statuant ainsi, alors qu’une action en concurrence déloyale, de nature délictuelle, est soumise au régime de la prescription de l’article 2224 du Code civil, la Cour d’appel, qui n’a pas fait partir le délai quinquennal du jour où l’association SPA a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer, peu important que les agissements déloyaux se soient inscrits dans la durée, a violé le texte susvisé » (Cass. com., 26 fév. 2020, n° 18-19-153 : Propr. industr., oct. 2020, n° 10, p. 45, Un an de jurisprudence, J. Larrieu ; Procédure, n° 2, fév. 2021, chron. 2, N. Bouche ; Contrats, conc., consom. 2020, comm. 82, note M. Malaurie-Vignal).
Il existe donc une différence importante entre l’action en contrefaçon, pour laquelle le délai de prescription ne court qu’à compter de la connaissance du « dernier » fait de contrefaçon (art. L. 521-3 du CPI, v. Propr. industr. juillet-août 2019, comm. 16, Note 2 J.Passa préc.) et l’action en concurrence déloyale, le point de départ du délai de prescription étant ici fixé à partir du jour où le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance des faits qu’il incrimine.
13°) Parasitisme
Le parasitisme se distingue de la concurrence déloyale puisqu’il ne requiert pas l’existence d’un risque de confusion (not, CA Versailles, 12ème ch, 16 janv 2020 n°18/05534 ; Propr. industr. Oct 2020, chr, F. Glaize p 36). Il tend à sanctionner la captation de ce qui fait le succès commercial d’un produit exploité par un concurrent en limitant ses propres investissements.
Il suppose donc que soit démontrée l’existence d’une valeur économique individualisée et sa captation (Comm. com. Electr, sept 2020, chr 9, E Kahn).
Saisis d’une action en concurrence parasitaire, le Tribunal de commerce, puis la Cour d’appel de Paris, ont condamné pour parasitisme un bijoutier à qui il était reproché d’avoir copié deux modèles emblématiques d’un joaillier.
Il était en effet démontré que ces modèles avaient rencontré un vif succès, qu’ils avaient fait l’objet d’investissements promotionnels et publicitaires importants et ils avaient été servilement reproduits. Les bijoux constituaient donc bien une « valeur économique individualisée procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail individuel et d’investissements ».
L’intention délibérée était en outre caractérisée « à raison du fait que deux modèles de collections différentes, ce qui ne peut résulter du hasard, ont été reproduits, de surcroit servilement et après que [la défenderesse] a pu vérifier la notoriété acquise par ces modèles (…) » (CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 27 nov. 2020, n° 19/03990. – dans le même sens, CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 2 déc. 2015, n° 14/08498).