1. Œuvres collectives.
A – Salarié – Styliste
1. – L’article L. 113-2, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle définit l’œuvre collective comme étant « l’oeuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé
Selon l’article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle l’œuvre collective est présumée être la propriété de la société qui l’exploite sous son nom. À ce titre elle est investie des droits de l’auteur.
C’est une des dispositions très importantes de la loi, qu’une société pourra opposer à un éventuel contrefacteur, mais aussi à un salarié styliste, directeur de création, ayant pour fonction au sein de la société de participer à la mise au point de modèles, et qui, lors de son départ, lorsqu’il quitte son employeur, aurait la prétention de revendiquer les droits patrimoniaux de création ainsi que le droit moral sur les modèles à l’élaboration desquels il aura apporté son concours, se prévalant pour cela de l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel « L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une oeuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa » .
B – Œuvres collectives. Définition
Un récent arrêt de la cour d’appel de Paris du 14 septembre 2012 (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 14 sept. 2012 : PIBD 2012, III, p. 720) précise, à partir de la définition générale de l’œuvre collective telle que formulée par la loi, les conditions auxquelles doit répondre l’élaboration d’un modèle, pour que celui-ci soit effectivement une œuvre collective, seule propriété de la société qui l’exploite sous son nom.
L’affaire opposait un salarié dessinateur, dont la fonction consistait à concevoir des dessins pour la réalisation de bijoux Van Cleef ; un rôle important était reconnu aux dessinateurs dans le processus de création des modèles de joaillerie.
Les relations de travail n’ayant pas été formalisées par un contrat écrit, la société Van Cleef devait proposer à son salarié un contrat comportant une clause de cession exclusive de ses droits d’auteur. Le salarié a alors saisi le tribunal de grande instance de Paris d’une instance en contrefaçon soutenant « qu’il était investi des droits d’auteur sur les dessins originaux qu’il avait créés n’ayant pas cédé ses droits à la société Van Cleef ». Il sollicitait en conséquence une rémunération proportionnelle pour l’exploitation des créations antérieures à son départ et demandait au tribunal de reconnaître qu’il était investi de la plénitude des droits d’auteur sur les créations matérialisées par ses dessins originaux. Il réclamait aussi l’interdiction à la société Van Cleef de commercialiser les pièces de joaillerie reproduisant ses dessins.
Dans son arrêt du 14 septembre 2012 la cour d’appel de Paris, après avoir rappelé et précisé les conditions dans lesquelles les modèles Van Cleef avaient été élaborés et exploités, considère que les modèles litigieux étaient des œuvres collectives, seules propriétés de la société Van Cleef.
La cour constate :
– que le travail du dessinateur s’inscrivait dans un cadre contraignant qui l’obligeait à se conformer aux instructions esthétiques qu’il recevait de ses supérieurs,
– que les dessins litigieux qui sont en tant que tels « dépourvus de valeur » avaient été réalisés dans le respect du style Van Cleef,
– que d’autres personnes faisaient partie de la chaîne de création des modèles,
– enfin que les modèles avaient toujours été divulgués sous le nom de la société Van Cleef.
La cour juge alors qu’en « l’absence d’autonomie dans la réalisation du dessin » , la revendication du dessinateur n’était pas fondée, la société Van Cleef étant en conséquence « seule titulaire ab initio » des droits patrimoniaux.
L’on retiendra de cette importante décision le critère qui justifie de l’existence d’une œuvre collective à savoir « l’absence d’autonomie dans la réalisation du dessin » de celui ou de ceux qui a ou qui ont apporté leur concours à sa réalisation.
Cet arrêt fait suite à un arrêt de la cour d’appel de Paris du 15 janvier 2010 (CA Paris, pôle 5, 1re ch., Van Cleef c/ Cécile Arnaud, inédit).
Dans cet autre litige la société Van Cleef s’opposait à une ancienne salariée dessinatrice dont l’activité comprenait « l’encadrement du service créations ainsi que sa participation active à l’œuvre de création, son travail de création étant contrôlé par un « comité de créations » qui intervenait à tous les stades de la création ».
La cour en conclut que ces éléments « témoignent des interférences de divers acteurs depuis la conception jusqu’à la mise en volume de bijoux de haute joaillerie », et qu’en conséquence les modèles étaient des œuvres collectives.
La cour d’appel de Paris (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 5 nov. 2010 : PIBD 2011, III, p. 121) employant une formule qui synthétise les critères formulés par les deux décisions précitées, avait jugé qu’une styliste qui justifiait « être à l’origine des modèles en cause, ne démontrait pas avoir maîtrisé le processus de création de bout en bout ».
C. Œuvres collectives. Titularité des droits
2. – Ainsi, dès lors qu’une œuvre est publiée sous le nom d’une société, elle est présumée lui appartenir et le salarié qui formule une revendication doit apporter une double preuve : d’abord qu’il a été le seul à concevoir le modèle « de bout en bout », et ensuite, qu’il a bénéficié « d’une liberté créatrice suffisante » (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 31 oct. 2012 : PIBD 2012, III, p. 887).
Rappelons enfin, que la Cour de cassation dans plusieurs arrêts de la chambre sociale (Cass. soc., 19 oct. 2005, n° 03-42.108 : JurisData n° 2005-030366. – Cass. 1re civ., 1er juill. 1970 : D. 1970, jurispr. p. 770 note B. Edelman. -Cass. 1re civ. 24 mai 1976 : D. 1978, jurispr. p. 223. Note R. Plaisant), avait jugé que l’initiative et le contrôle de la création par l’employeur étaient suffisants pour emporter la qualification d’œuvre collective.
L’on peut conclure qu’un modèle est presque toujours une œuvre collective au sens de l’article L. 113-2, troisième alinéa du Code de la propriété intellectuelle. En effet, il est, le plus souvent, réalisé à l’initiative et sous le contrôle d’une personne morale et participent nécessairement et successivement à son élaboration plusieurs personnes. (V. F. et P. Greffe. Traité des dessins et des modèles : Litec 2008, n° 1130).
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il y a peu de litiges entre l’employeur et le salarié auteur.
Cette jurisprudence évite, enfin, de se poser la question de la validité d’une clause de la cession de droits dans un contrat de travail, certains auteurs soutenant que de telles clauses seraient nulles comme constituant une cession globale d’œuvres futures.
Mais une cession de droits, que l’on soit en présence d’un travailleur indépendant ou d’un salarié, peut résulter de la commune intention des parties, l’écrit n’étant pas nécessaire. Dans son arrêt du 26 novembre 2006 la première chambre de la Cour de cassation rappelle (Cass. 26 nov. 2006 : PIBD 2007, III, p. 123) que les dispositions de l’article L. 131-3 ne concernent que les contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle et que dans tous les autres cas les dispositions des articles 1341 à 1348 du Code civil sont applicables.
2. Exploitation non équivoque – Présomption de propriété
3. – La présomption de titularité résultant de l’exploitation d’un modèle est une présomption simple (Cass. com., 25 avr. 2006, n° 04-13.072 : JurisData n° 2006-033255 ; PIBD 2006, III, p. 478), et la société ou la personne physique qui s’en prévaut doit justifier d’actes d’exploitation « non équivoques », ce que précise, pour la première fois à notre connaissance, la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 2012 (Cass. 1re civ., 4 mai 2012, n° 11-13.116 : JurisData n° 2012-009214 ; PIBD 2012, III, p. 522).
Pour être « non équivoque » l’exploitation d’une création doit alors répondre à deux conditions :
– il appartient à celui qui revendique la création de l’identifier et de justifier la date à laquelle il a commencé à en assurer la commercialisation,
– il lui incombera également d’établir que les caractéristiques de l’œuvre revendiquée sont identiques à celles de l’œuvre dont il apporte la preuve de la première commercialisation sous son nom.
Dans un arrêt du 19 décembre 2012, la cour d’appel de Paris (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 19 déc. 2012, Sté Delphes c/ Sté Avantages Mode, inédit) précise que, dès lors que la preuve du caractère non équivoque de l’exploitation est apportée, il n’y a pas lieu de rechercher si la preuve d’un processus créatif est, ou non, apportée par la personne physique ou morale se prévalant de cette présomption.
Et l’antériorité opposée à une création qui fait l’objet d’une « exploitation non équivoque » doit elle-même être certaine. L’on relève cependant des décisions qui admettent que la preuve d’une antériorité puisse être apportée par de simples témoignages accompagnés de factures qui n’identifient pas, nécessairement, l’antériorité invoquée ! (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 17 oct. 2012, Gas Bijoux c/ Saisons Distribution, inédit).
3. Droit moral
A – Le droit moral n’est pas absolu
4. – S’agissant d’un flacon de parfum et de son emballage, par arrêt du 31 octobre 2012 (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 31 oct. 2012 : PIBD 2012, III, p. 887) la cour d’appel de Paris a jugé qu’une société faisait à juste titre valoir qu’il était légitime en matière de parfumerie, que les noms et qualités de l’auteur ne figurent pas sur le flacon et l’emballage qu’il avait créés.
Dans un arrêt du 31 octobre 2000 (CA Paris, 4e ch. 31 oct. 2000 : PIBD 2001, III, p. 69) la cour d’appel de Paris s’était prononcée en sens contraire. Elle avait jugé que s’agissant d’un emballage pour produits de parfumerie qui ne comportait pas la signature de l’auteur, le droit pour un auteur de publier son œuvre sous son nom constituait une prérogative essentielle et que cette prérogative ne permettait pas à la société L’Oréal d’invoquer les usages dans le domaine des produits de parfumerie ou des produits cosmétiques.
Mais le droit moral n’est pas absolu ni discrétionnaire (F. et P. Greffe, Traité des dessins et des modèles : Litec, 2008, n° 1346). La question s’est posée à l’occasion d’un curieux litige opposant la société Citroën à un designer auteur d’une partie de la carrosserie d’une voiture et qui poursuivait la société Citroën en contrefaçon, prétendant que le constructeur aurait dû mentionner son nom sur la carrosserie. La cour d’appel a débouté le designer de ses prétentions après avoir rappelé que « dans le domaine des arts appliqués à l’industrie, l’œuvre artistique à un caractère accessoire par rapport à l’objet exploité et que le succès d’un dessin ou d’un modèle dépend de l’effort financier de l’industriel qui a pris le risque de son exploitation », la cour ajoutant que « le designer n’avait passé avec Citroën aucune convention aux termes de laquelle cette société se serait engagée à mentionner sur le véhicule commercialisé son nom et sa qualité d’esthéticien industriel, alors que, par ailleurs, il n’est pas d’usage sur des réalisations industrielles que de telles mentions soient faites » (CA Paris, 22 nov. 1983 : D. 1985, somm. p. 9 obs. J.-J. Burst). Dans son commentaire, Jean-Jacques Burst écrit : « cette décision mérite une attention particulière. Elle est en effet la première à consacrer cette solution. Sans doute doit-elle être approuvée. Elle tient compte du caractère très particulier des œuvres appliquées à l’industrie ».
5 L’application de la loi ne doit pas aboutir à des solutions qui ne sont pas raisonnables. Et il n’est pas raisonnable d’exiger que la signature du créateur d’un flacon ou d’un emballage soit mentionnée sur le produit qui ne peut comporter utilement que les mentions nécessaires à sa commercialisation.
B – Droit moral et personne morale
Nous signalerons un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 22 mars 2012 (Cass. com., 22 mars 2012, n° 11-10.132 : JurisData n° 2012-004913 ; PIBD 2012, 962.III, p. 364). Selon un arrêt de la cour d’appel de Paris (CA Paris Pôle 5 Ch. 1. 5 nov.2010 PIBD 2011.934.III.151), une société qui n’avait pas qualité de créateur ne pouvait prétendre être titulaire du droit moral attaché à la personne de l’auteur, en l’espèce une styliste salariée. La Cour de cassation a cassé cet arrêt au motif « qu’en statuant ainsi, [et compte tenu des termes de l’article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle], alors que la personne physique ou morale à l’initiative d’une œuvre collective est investie des droits de l’auteur sur son œuvre et, notamment, des prérogatives du droit moral, la cour d’appel avait violé les dispositions de l’article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle ».
Il ressort en effet de l’article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle qu’une personne morale, est investie, au même titre qu’une personne physique du droit moral (H. Desbois, Le droit d’auteur : Dalloz, 1978, n° 691. – A. et H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique : Lexis Nexis, 2012, n° 224).
4. Originalité – Physionomie propre – Caractère propre – Nouveauté – Cumul
A – Cumul
6. – La question du cumul est certainement la question la plus importante du droit des dessins et des modèles. Le cumul total, permet de protéger un modèle non déposé par le droit d’auteur, lui assurant ainsi la protection la plus large.
Curieusement, alors que la directive 98/71/CE sur la protection des dessins et des modèles du 13 octobre 1998 pose le principe que les modèles déposés « bénéficient » de la protection du droit d’auteur, sans il est vrai fixer la portée de ce cumul, un certain nombre de décisions sont revenues sur cette règle, en donnant des dessins et des modèles des définitions différentes selon qu’il s’agit d’invoquer le droit d’auteur, ou le droit des dessins et des modèles.
Selon un arrêt de la Cour de cassation du 13 décembre 2011 (Cass. crim., 13 déc. 2011, n° 10-80.623 : PIBD 2012, III, p. 180) « les articles 17 de la directive du 13 octobre 1998 et L. 513-2 du Code de la propriété intellectuelle imposent non pas un cumul total ou de plein droit des diverses protections (droit d’auteur, droit des dessins et modèles) mais autorisent seulement un tel cumul lorsque les possibilités respectives des différentes protection sont satisfaites », ce qui est exact, mais précisément en France il est admis que c’est le cumul total qui demeure la règle, étant ici rappelé que c’est à la suite de l’intervention de la France que l’article 17 a été introduit dans la directive et ce après de très longues discussions.
7 Un arrêt de la Cour de la cassation du 5 avril 2012 (Cass. 1re civ., 5 avr. 2012, n° 10-27.373 : PIBD 2012, III, p. 523) fait une distinction entre l’originalité et la nouveauté, les deux termes étant cependant synonymes. Il s’agissait d’un modèle de chaussure. La Cour de cassation s’exprime en ces termes : « Ayant souverainement estimé que le modèle reproduit sur le catalogue présentait l’ensemble des caractéristiques du modèle de mocassin invoqué et privait celui-ci d’originalité, la cour d’appel a pu en déduire que le modèle invoqué ne pouvait bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur mais que, dès lors qu’il ne s’agissait pas d’une antériorité de toutes pièces, le demandeur était néanmoins recevable à agir sur le fondement du livre V du Code de la propriété intellectuelle ».
L’adoption du cumul total par les tribunaux français résulte cependant du fait constaté qu’il n’était pas possible objectivement de distinguer l’originalité de la nouveauté, sauf à laisser le juge s’ériger en critique d’art, avec toutes les incertitudes que cela comporte !
Et dans un arrêt du 27 janvier 2009 la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 27 janv. 2009, aff. C-168/09, Flos Spa c/ Semeraro) souligne l’intérêt qu’elle porte au cumul.
B – Nouveauté et Originalité
Cela étant, l’on constate qu’après quelques errements, tendant à diminuer une protection la plus large possible, les dernières décisions de la cour d’appel de Paris paraissent appliquer le cumul total. Nous citons ici quelques unes des plus récentes décisions des chambres 1 et 2 du pôle 5 dont la majorité sont des décisions d’infirmation, dans les hypothèses où le tribunal avait refusé sa protection à des modèles non déposés jugeant qu’ils ne remplissaient pas la condition d’originalité.
8. – S’agissant d’un modèle de bracelet caractérisé par l’irrégularité de sa surface et le choix de ses proportions, la cour d’appel de Paris a jugé par un arrêt du 2 décembre 2011 (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 2 déc. 2011 : PIBD 2012, III, p. 224) que ces bijoux traduisaient incontestablement le parti-pris esthétique de leur créateur, portant l’empreinte de sa personnalité et qu’ils étaient en conséquence protégeables au titre du droit d’auteur.
9. – S’agissant d’un panneau de bois sur lequel étaient gravées des lignes ondulées irrégulières ne se croisant jamais, la cour d’appel de Paris par un arrêt du 2 décembre 2011, a jugé que ce modèle était protégeable au titre du droit d’auteur, son graphisme étant bien délimité et l’originalité résultant de la combinaison particulière des lignes (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 2 déc. 2011 : PIBD 2012, III, p. 257).
10. – S’agissant de dessin, la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 6 juin 2012 (CA Paris, 6 juin 2012, sté LZC c/ SAS Jeef, inédit) a jugé que, si certains éléments qui composaient le dessin étaient effectivement connus, leur combinaison, dès lors que l’appréciation de la cour doit s’effectuer de manière globale, en fonction de l’aspect d’ensemble produit par l’agencement des différents éléments propres à ce modèle, confère à ce dessin une physionomie propre qui le distingue des autres dessins de même genre, autrement agencé et qui traduit, fut-il minime, un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de l’auteur.
Il convient ici de souligner l’emploi du qualificatif « minime », la loi protégeant en effet, toute œuvre quelqu’en soit « le mérite ». Ce mérite doit exister mais il peut être minime.
11. – S’agissant d’un modèle de lampe caractérisé par un abat-jour de globe de verre posé sur un arceau chromé à section ronde, la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 10 octobre 2012, (CA Paris, 10 oct. 2012, pôle 5, 1re ch. Desbordes c/ Sté Import – inédit) a jugé que « le choix arbitraire de la forme courbée du pied et circulaire du socle ainsi que d’une défonce excentrée dudit socle, traduisait un effort créatif personnalisé même s’il est minime ».
12. – Par arrêt du 10 octobre 2012 la cour d’appel de Paris (CA Paris, pôle 5, 1re ch., Gauthrot c/ Nespresso – France, inédit) a jugé que, si les modèles appartenaient au genre de verre à double parois assurant une fonction à la fois isolante et isotherme, ils offraient au surplus des caractéristiques tenant non pas à l’adoption d’une matière transparente mais résultant des choix de forme et de proportions. Que le modèle était en conséquence protégeable par les dispositions du livre I du Code de la propriété intellectuelle et que, présentant une forme différente de ceux divulgués antérieurement, il était également, offrant le caractère propre et la nouveauté, protégeable par les dispositions du livre V.
13. – Des motifs de broderie ont été également protégés au motif qu’il était possible d’aboutir à une création à partir d’éléments connus tels que de simples points de crochet pour parvenir à des motifs qui, agencés de façon particulière, confèrent au résultat final un caractère d’originalité ainsi qu’une valeur esthétique propre à dévoiler la personnalité de son créateur (CA Paris, pôle 5, 2e ch. 14 sept. 2012 : PIBD 2012, III, p. 724).
14. – La cour d’appel de Paris a jugé (CA Paris, 19 déc. 2012, pôle 5 1re ch., Sté Delphes c/ Sté Avantage Mode, inédit) s’agissant de modèles de bracelets qu’il importait peu « même s’ils relèvent des arts appliqués que les modèles n’aient fait l’objet d’aucun dépôt de dessin ou modèle, l’action étant en l’espèce fondée non sur le droit des dessins et modèles mais exclusivement sur le droit d’auteur, étant rappelé que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création d’un droit de propriété incorporel, exclusif et opposable à tous qui comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial et que ce droit est conféré à l’auteur de toute œuvre de l’esprit quelqu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » et ajoute que : « que les normes européennes ne subordonnent nullement la protection ainsi accordée par la législation française sur le droit d’auteur à celle sur le droit des dessins et modèles, mais prévoient simplement le cumul de ces deux protections, reconnu en France ».
15. – S’agissant de modèles d’étui, la cour d’appel de Paris par un arrêt du 28 novembre 2012 (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 28 nov. 2012 : PIBD 2012, III, p. 970) a protégé tous ces modèles par référence aux livres I et V du Code de la propriété intellectuelle.
16. – S’agissant enfin d’articles décoratifs tels que des dessous-de-verre, des porte-serviettes, des pots à crayon, des vides poches, dans un arrêt du 31 octobre 2012 la cour d’appel de Paris s’exprime en ces termes (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 31 oct. 2012, Sté JJA c/ Sté FT Diffusion) :
« Si la société FT Diffusion souligne avec raison qu’aucun des modèles invoqués ne reproduit dans une combinaison identique l’ensemble des caractéristiques des créations revendiquées et ne vaut antériorité de toutes pièces, force est de rappeler qu’une telle observation est dans la cause dénuée de pertinence dès lors que l’éligibilité à la protection par le droit d’auteur est conditionnée par l’originalité et non par la nouveauté.
Que présente un caractère original l’œuvre qui révèle les choix personnels de son auteur, traduit ainsi l’effort créatif de ce dernier et porte l’empreinte de sa personnalité.
Les pièces soumises à la cour justifient de la commercialisation antérieure aux modèles revendiqués, d’objets fonctionnels pour la maison s’inscrivant dans le style industriel, de forme géométrique, découpés dans le métal.
Il s’ensuit que la combinaison telle que revendiquée est déjà connue et ne révèle aucunement le parti-pris esthétique de l’auteur, à telle enseigne que la cour a pu constater, au terme de l’appréciation globale à laquelle elle s’est livrée, que les modèles opposés ne présentent pas une physionomie propre qui les distinguerait des autres modèles du même genre ».
Ainsi, après avoir indiqué que s’agissant du droit d’auteur seule l’originalité devait être prise en compte, la cour juge que les modèles revendiqués ne sont pas orignaux compte tenu des antériorités qui lui sont présentées.
5. Parodie
A – Parodie et dessins
17. – La parodie, imitation burlesque d’une œuvre ne peut être interdite par l’auteur (CPI, art. L. 122-5, 4°).
Une revue dont la dénomination est déposée à titre de marque, et qui comporte des slogans, une présentation particulière de son sommaire, et diverses illustrations sur la couverture, est parodiée. La revue parodiée saisit le tribunal d’une action en contrefaçon de marque, de droit d’auteur et de modèle déposé.
Le tribunal avait jugé qu’en l’espèce l’exception de parodie ne pouvait être invoquée, l’article L. 513-4 du Code de la propriété intellectuelle condamnant toute atteinte aux droits du titulaire de dessins et modèles, quelles que soient ces atteintes.
La cour d’appel de Paris dans un arrêt du 21 septembre 2012 (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 sept. 2012 : PIBD 2012, III, p. 804) infirme le jugement de première instance. Pour la cour « il convient de s’interroger non pas sur le risque de confusion susceptible d’exister entre le modèle protégé et le modèle argué de contrefaçon, notion étrangère aux dispositions du livre V, mais de déterminer si le produit litigieux reproduit pour l’observateur averti les caractéristiques essentielles du modèle déposé au point d’engendrer la même impression d’ensemble, l’étendue de la protection assurée par le dépôt du dessin ou modèle étant déterminée par la reproduction de celui-ci ».
La page de couverture comportait en combinaison diverses photographies et illustrations, constituant un dessin au sens du livre V, ce qui n’était pas contesté, mais comportait aussi un titre « FIENTREVU » au lieu de « ENTREVUE » un slogan « Toutes les conneries sont bonnes à dire » au lieu de « Toutes les vérités sont bonnes à dire », et plusieurs autres indications de la revue originale reprises sous forme de parodie.
Si ces précisions distinguaient la revue imitante de la revue parodiée, il n’en restait pas moins que, tant le dessin de la page de couverture que sa présentation et son sommaire étaient identiques.
La Cour n’a cependant pas retenu de faits de contrefaçon de dessin au motif que :
« L’observateur averti qui est la personne attentive et suffisamment informée des différents magazines humoristiques diffusés en France et qui, par conséquent, connaît le magazine ENTREVUE, focalisera en premier lieu son intention sur l’ensemble de la page de couverture puis sur le titre du modèle argué de contrefaçon « FIENTREVUE », sur l’inscription au dessus du titre « Attention ! ceci est une grossière contrefaçon signée Jalons » et en dessous « Toutes les conneries sont bonnes à dire », pour comprendre qu’il s’agit d’une parodie destinée à se moquer de la revue ENTREVUE et que l’impression visuelle qu’il aura ensuite de l’ensemble de la couverture fera que les éléments caractéristiques protégés du modèle tels que ci-dessus décrits, lesquels ont été volontairement repris pour caractériser la parodie, seront estompés dans son esprit au point de ne plus avoir la même impression visuelle d’ensemble ».
Cette solution, compte tenu des termes de la loi, est audacieuse, la contrefaçon au titre du modèle déposé n’étant en effet pas contestable. Elle doit cependant être approuvée. Le juge a, en l’espèce, recherché une articulation équilibrée entres les deux droits, le droit de propriété et la liberté d’expression.
B – Théorie de l’accessoire
L’on peut rapprocher cette décision de la jurisprudence dite de l’accessoire, relative aux conditions matérielles de réalisation de la contrefaçon. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation si l’utilisation d’un modèle, d’un dessin ou d’une photographie est l’accessoire du sujet présenté, cette utilisation ne constitue pas une contrefaçon.
Ainsi l’utilisation de la couverture illustrée d’un ouvrage, objet d’une campagne de publicité à la télévision, ne constitue pas la contrefaçon de l’illustration, comme portant atteinte au droit de représentation. La théorie de l’accessoire a été élaborée principalement en raison des conflits existants entre le droit d’auteur et l’exercice d’autres droits tels que celui du droit à l’information (CA Douai 10 déc. 1990 : PIBD 1991, III, p. 667. – Cass. 1re civ., 12 juin 2001 : D. 2001, p. 2517. – CA Paris 4e ch., sect. A, 17 janv. 2007 : Gaz. Pal. 2007, 1, somm. p. 2111. – CA Paris 4e ch. A 28 févr. 2007 : Gaz. Pal. 2007, II, somm. p. 4221).
6. Modèle – définition – caractéristiques fonctionnelles – exclusion
18. – Il est constant que les éléments constitutifs d’un modèle doivent être inutiles, ornementaux. Il ne peut être tenu compte pour l’appréciation de la nouveauté, de l’originalité, de la physionomie propre ou encore du caractère propre du modèle des éléments utiles ou fonctionnels entrant dans sa composition, dans ses caractéristiques, même si ces éléments produisent un effet ornemental (F. et P. Greffe, Traité des dessins et modèles : Litec, 2008, 269).
S’agissant d’une table basse caractérisée par un piètement en X, constituant un mécanisme de rotation permettant de bénéficier d’une table à un ou deux plateaux, le tribunal de grande instance de Paris a jugé que « le mouvement de rotation n’était pas appropriable au titre du droit d’auteur et [que] sa reprise par un concurrent n’était pas constitutive de contrefaçon » (TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 25 janv. 2013, Sté Naos c/ Sté Mobilier de France. – V. également Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-18.372 : JurisData n° 2012-012577 ; PIBD 2012 , III, p. 487)
7. Rémunération – forfait – caractère accessoire d’un modèle
19. – Selon l’article L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle l’auteur doit recevoir, en contrepartie de la cession de ses droits, une rémunération proportionnelle.
Cette disposition, qui n’est pas d’ordre public, comporte des exceptions aux termes desquelles il est possible de régler l’auteur par le versement d’une somme forfaitaire notamment si « l’utilisation de l’œuvre ne présente qu’un caractère accessoire par rapport à l’objet exploité ».
Concernant un modèle de flacon de parfum la cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 31 octobre 2012 (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 31 oct. 2012, n° 2010/21777 : PIBD 2012, III, p. 887), a considéré que, si l’identité visuelle conférée au parfum par le flacon a nécessairement une influence sur sa diffusion, celle-ci n’en était pas néanmoins destinée à promouvoir un nouveau parfum pour lequel il ne saurait être sérieusement dénué que les préférences olfactives demeurent dominantes pour le public pertinent, le caractère accessoire de la création ne pouvant justifier que d’une rémunération forfaitaire.
La jurisprudence s’était déjà prononcée à plusieurs reprises à ce sujet. Un arrêt de la cour d’appel de Paris (CA Paris, 4e ch., 22 nov. 1983, Barrault c/ Automobiles Citroën, inédit), a jugé « qu’il convenait de rappeler que par destination, les dessins et modèles sont appelés à une reproduction en nombre alors que les créations de l’art pur ne connaissent un tel sort que si elles ont connu le succès et la notoriété. Que dans le domaine des arts appliqués à l’industrie, l’œuvre artistique a un caractère accessoire par rapport à l’objet exploité et que le succès d’un dessin ou d’un modèle dépend de l’effort financier de l’industriel qui a pris le risque de son exploitation. Que le caractère accessoire de l’œuvre justifie en conséquence la rémunération généralement forfaitaire de la cession des droits patrimoniaux » (dans le même sens TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 11 mars 2010, n° 2009/04226 : PIBD 2010, III, p. 471).
8. Contrefaçon – Appréciation
A – Risque de confusion
20. – Dans un arrêt du 21 septembre 2012 la cour d’appel de Paris (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 sept. 2012 : PIBD 2012, 973, III, p. 804) rappelle que le risque de confusion est une notion étrangère à la contrefaçon en matière de droit des dessins et modèles. Il en est de même en droit d’auteur.
La contrefaçon pouvant n’être que partielle, il faut que les caractéristiques essentielles et protégeables dans leurs combinaisons aient été reprises.
21. – Et dans un arrêt du 21 novembre 2012 la cour d’appel de Paris (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 21 nov. 2012, Mimran et Nessa c/ Christian Bernard) a jugé que la contrefaçon s’appréciait par les ressemblances et non par les différences, les ressemblances pouvant s’expliquer par des emprunts communs au domaine public, par le caractère fonctionnel de certains éléments, par les règles de l’art ou par le genre. La cour précise qu’il convient alors de dégager les éléments caractérisant l’originalité de l’œuvre sans tenir compte des éléments qui relèvent par leur nature du domaine public, du caractère fonctionnel ou de la reprise d’un genre. Le principe est constant. Selon un arrêt du 16 octobre 1971 (CA Paris, 16 oct. 1971 : Ann. propr. ind. 1972, p. 88) il convient pour apprécier la contrefaçon de faire « les abstractions nécessaires » (dans le même sens CA Lyon, 18 juin 1974 : D. 1974, jurispr. p. 658 note P. Greffe. – CA Paris, 13 juin 1988 : D. 1990, somm. p. 198. obs. J.-J. Burst. – CA Paris 6 févr. 2004 : PIBD 2004, 791, III, p. 461 ; Propr. intell. 2004, p. 82, obs P. Greffe. – Cass. 22 mars 2005, n° 03-17.699 : PIBD 2005, III, p. 372 ; Propr. intell. 2006, p. 31 obs. F. Greffe. -V. également Traité des dessins et des modèles : Litec, 2008 8e éd., n° 1494 et s., préc.).
B – Impression d’ensemble
22 – Il est difficile de distinguer le risque de confusion et le fait d’engendrer la même impression d’ensemble : « l’homme averti » qui doit apprécier si le modèle argué de contrefaçon engendre la même impression d’ensemble que le modèle revendiqué, prend en considération « les caractéristiques protégées du modèle » (CA Paris, 21 sept. 2012, préc.).
Ainsi les conditions selon lesquelles s’apprécie la contrefaçon sur le terrain du droit d’auteur ou sur celui des dessins et des modèles ne diffèrent pas, sinon par les termes employés !
9. Concurrence déloyale
23. – Dans un arrêt du 26 septembre 2012 (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-19.432 : PIBD 2012, III, p. 763), la Cour de cassation rejette un pourvoi formé contre un arrêt de la cour d’appel de Versailles qui après avoir retenu des faits de contrefaçon de modèles avait en outre condamné la société appelante pour concurrence déloyale en raison du risque de confusion né des ressemblances existant entre le modèle incriminé et le modèle authentique.
Cette décision est en contradiction avec la jurisprudence antérieure selon laquelle le risque de confusion ne suffit pas à remplir l’exigence de faits distincts de ceux retenus pour caractériser de contrefaçon. La contrefaçon implique que, par définition, la copie de tout ou partie d’un modèle, entraîne le plus souvent, sinon même nécessairement, un risque de confusion.
Il est en effet de jurisprudence que constitue la violation de l’article 1382 du Code civil le fait, pour un tribunal, de prononcer une condamnation distincte résultant de celle de la contrefaçon de modèle, sur des faits qui ne se distinguent pas de ceux caractérisant cette contrefaçon (Cass. com., 19 janv. 2010, n° 08-15.338, n° 08-16.459, n° 08-16.469 : JurisData n° 2010-051290 ; PIBD 2010, III, p. 220. – Cass. com., 15 sept. 2009 : PIBD 2009, III, p. 1495. – Cass. com., 1er juill. 2008, n° 07-14.741 : JurisData n° 2008-044704 ; PIBD 2008, III, p. 674 ; Propr. intell. 2008, p. 43, note J. Schmidt-Szalewski).
François et Pierre Greffe,
avocat à la Cour,
professeur au CEIPI
Chronique « Un an de… »