Solution : Une personne morale agissant en contrefaçon au titre du droit moral de l’auteur ne peut se prévaloir de la présomption de titularité des droits institués par la jurisprudence, cette règle prétorienne ne lui conférant pas la qualité d’auteur et ne l’investissant pas des droits moraux qui sont attachés à la personne de l’auteur.
Impact : Pour justifier de sa recevabilité à agir en contrefaçon pour atteinte au droit moral, il appartient à la personne morale de démontrer que l’œuvre revendiquée est une œuvre collective.
CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 9 oct. 2020, n° 18/27357
NOTE :
Une société exerçant l’activité d’architecte-urbaniste s’était vue confier par la RATP la rénovation de la gare souterraine Châtelet-Les Halles.
Estimant que la RATP avait, à la suite de travaux, porté atteinte à l’intégrité de son œuvre, elle l’assigne en contrefaçon pour violation de son droit moral.
Le Tribunal, tout en écartant la qualification d’œuvre collective, avait estimé que cette action en contrefaçon était cependant recevable.
La personne morale, agissant sur le fondement du droit moral, serait, pour le juge de première instance, fondée à se prévaloir du bénéfice de la présomption de titularité de droits d’auteur, c’est-à-dire de la règle prétorienne selon laquelle « En l’absence de revendication du ou des auteurs, l’exploitation non équivoque de l’œuvre par une personne morale sous son nom fait présumer à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon que cette personne est titulaire sur l’œuvre, qu’elle soit ou non collective, du droit de propriété intellectuelle ».
La Cour de cassation rappelle en effet périodiquement la règle selon laquelle une personne morale qui exploite une œuvre sous son nom, de façon non équivoque, jouit d’une présomption de propriété et ce quelle que soit la qualification de l’œuvre (notamment Cass., 1ère civ., 4 mai 2012, n° 11-13-116).
Mais cette règle n’a pas la portée que lui avait attribuée le tribunal dans son jugement.
Elle ne peut en réalité concerner que les droits patrimoniaux dont est investie la personne morale et non le droit moral de l’auteur.
C’est ce que souligne la Cour dans son arrêt en rappelant que cette présomption simple « opère à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon et vise à permettre à la personne morale qui, en l’absence de revendication du ou des auteurs, exploite paisiblement l’œuvre, d’agir en contrefaçon pour la défense de ses intérêts patrimoniaux ; elle ne saurait conférer à cette personne morale la qualité d’auteur ni l’investir des droits moraux d’auteur qui sont attachés à la personne de l’auteur ».
Ainsi, la personne morale ne saurait être assimilée à l’auteur, ni être regardée comme investie à titre originaire de l’ensemble des droits d’auteur en ce compris ses attributs d’ordre moral et elle ne peut donc se prévaloir de la présomption de titularité de droits. Son action n’est recevable que si l’œuvre revendiquée peut être qualifiée d’œuvre collective.
S’appliquent alors les dispositions dérogatoires de l’article L. 113-5 du CPI qui dispose que « L’œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de qui elle est divulguée. Cette personne est investie des droits de l’auteur » sur cette œuvre et, notamment, des prérogatives du droit moral (Cass. com., 22 mars 2012 n° 2011/10132, PIBD 2012, n° 962, III, 364).
On sait que la qualification d’œuvre collective est souvent retenue par la jurisprudence en matière de dessins et modèles (notamment Cass. 1ère ch., 19 déc. 2013 n° 2012/26409. – Cass. soc., 22 sept. 2015, n° 2013/18803. – TGI Paris, 3ème ch., 2ème sect., 24 janv. 2014 n° 2010/15753. – CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 5 nov. 2010, n° 2009/13576. – CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 11 sept. 2015, n° 2014/05439. – CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 17 oct. 2014 n° 2013/24848. – TGI Paris, 3ème ch., 1ère sect., 22 nov. 2018 n° 17/12782).
La Cour ne la retient pas pour l’œuvre architecturale qui était en l’espèce revendiquée et déclare en conséquence la société demanderesse irrecevable en son action.