Source : CA Paris, pôle 5, 2e ch., 12 juin 2015, Sté Christy / Sté Paris Première
RÉSUMÉ :
Il appartient à la demanderesse à la protection au titre des droits d’auteur, de démontrer que l’œuvre revendiquée est une œuvre de l’esprit originale ouvrant droit comme telle à la protection et non pas à la société appelante de rapporter la preuve d’antériorités de toutes pièces, inopérantes en la matière, pour détruire l’originalité de l’œuvre.
En l’espèce la société intimée revendique des droits sur une tunique comportant en partie haute un empiètement froncé et un col de forme carrée, et en partie basse deux poches plaquées, arrondies et froncées ainsi que des manches en forme ballon se terminant par un empiècement, sans démontrer en quoi la combinaison de ces caractéristiques serait originale, condition première de la naissance du droit d’auteur et de la définition de son objet.
(CA Paris Pôle 5 ch. 2, 12 juin 2015 Sté Christy / Sté Paris Première).
Observations :
La Cour de Paris dans son arrêt du 12 juin 2015, concernant un modèle de tunique dont la protection était sollicitée sur le fondement du livre Ier du CPI après avoir rappelé que la société poursuivant en donnait la définition par l’énumération des éléments combinés, reproche à cette dernière de s’être bornée à la description de son modèle sans démontrer, sans prouver par conséquent, son caractère original.
Ainsi le demandeur à une action en contrefaçon ne devrait pas se limiter à définir son modèle en énumérant et en décrivant ses éléments, réunis et combinés, mais devrait encore prouver son originalité. L’originalité n’est pas seulement une référence à la notion de nouveauté, mais implique un jugement de valeur, une appréciation qui variera nécessairement selon le goût de chacun, selon le sentiment que l’on peut avoir de la beauté. Les vicissitudes du droit applicable aux dessins et modèles sont inséparables d’une certaine conception du beau et de l’utile.
Il ne paraît pas possible, pour ne pas dire raisonnable, de formuler cette exigence. Selon nous, Il appartient au demandeur à l’action en contrefaçon, titulaire des droits de création, non pas de prouver l’originalité de son modèle, mais de préciser, de dépeindre ses éléments constitutifs. (Cass. 1è civ. 15 janv. 2015 D. 6 août 2015 n° 29 Note Galloux et Lapousterie 1664).
Dans un arrêt du 23 juin 2015 (CA Paris Pôle 5 ch. 1, 25 juin 2015 Extenzo / Sté Dany), concernant des modèles de veste, la Cour relève que si les éléments combinés sont effectivement connus pour appartenir au fonds commun de la veste en revanche « dès lors que l’appréciation de la Cour doit s’effectuer de manière globale, en fonction de l’aspect d’ensemble produit par l’agencement des différents éléments et non par l’examen de chacun d’eux pris individuellement, la combinaison telle que revendiquée confère à ces vestes une physionomie propre qui les distingue des autres modèles du même genre et qui traduit un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur ». La Cour soulignant qu’il incombait à la personne qui entendait se prévaloir des droits de l’auteur de « caractériser », et non de prouver, l’originalité de cette création.
C’est au juge qu’il appartient d’apprécier si le modèle revendiqué présente une physionomie propre ou une originalité et ce à partir de la définition qui lui en aura été donnée. Cette question n’est pas nouvelle.
La première décision à notre connaissance est une décision de la Cour de Paris du 12 octobre 1974 (4e ch. Hermès / Richard) qui a jugé que c’était à tort qu’un contrefacteur soutenait que la charge de prouver l’originalité de sa création incomberait à la société demanderesse, alors que le titulaire d’un droit privatif est seulement tenu d’établir la date de sa création. Dans le même sens TGI Paris 1er mars 1990 PIBD 1990.III.593. CA Paris 17 janv. 1997 PIBD 1997.630.III.217. JCP E 1997, chron. Dessins et modèles.
La Cour de Paris (Pôle 5 ch 1, 2 juin 2015. Louis Vuitton Malletier / Emeraude City), concernant un modèle de jean, estime que la combinaison des caractéristiques telle que décrite par la société appelante, dans un but purement esthétique procédait de l’arbitraire de son auteur, qu’elle était révélatrice d’une création intellectuelle propre à celui-ci conférant à ce modèle une originalité de nature à lui accorder la protection au titre du droit d’auteur.
Et c’est encore en ce sens que se prononce la Cour de Justice de l’Union Européenne, en matière de dessins et modèles, dans un arrêt du 19 juin 2014 (PIBD 2014.1012.III.704) selon lequel : « Art. 85 § 2 du règlement 6/2002 doit être interprété en ce sens que, pour qu’un tribunal des dessins ou modèles communautaires considère un dessin ou modèle communautaire non enregistré comme valide, le titulaire de ce dessin ou modèle n’est pas tenu de prouver que celui-ci présente un caractère individuel au sens de l’article 6 de ce règlement, mais doit uniquement indiquer en quoi ledit dessin ou modèle présente un tel caractère, c’est-à-dire identifier le ou les éléments du dessin ou modèle concerné qui, selon ce titulaire, lui confèrent ce caractère ».
L’appréciation de l’originalité d’un modèle est une question de droit qui relève de la seule compétence du juge. Dans un arrêt du 10 mars 2015 la Cour d’appel de Paris (Pôle 5, ch. 1 Briolant / Sté Artnet. Inédit) rappelle ce principe, dans une affaire dans laquelle la partie défenderesse avait sollicité la consultation d’un expert-judiciaire. Selon la Cour l’appréciation de l’originalité au titre du droit d’auteur est une analyse d’ordre juridique réservée au juge (CA Paris 9 nov. 1977 JCP 1978, II, 18841 – CA Paris 7 mars 1997 PIBD 1997.633.III.312 – CA Paris 17 janv. 2003 PIBD 2003.765.III.299).
Le demandeur qui exerce une action en contrefaçon est-il tenu d’établir le bien fondé de son droit et de démontrer jusqu’à la condition essentielle d’originalité de son modèle, ou bien est-il seulement tenu de justifier d’une date, celle de sa création dont il se bornera à donner la définition ? Telle est la question posée.
Ainsi que nous venons de l’expliquer il appartient à celui qui se prévaut d’un droit de création sur un modèle de le décrire avec précision, dans ses caractéristiques ornementales, inutiles et ce pour deux raisons : d’abord pour que la règle du contradictoire soit respectée ensuite pour permettre au juge d’apprécier si les conditions requises à la protection se trouvent réunies.