Dessins et modèles
Originalité – Combinaison d’éléments connus
L’originalité d’une œuvre doit s’apprécier de manière globale de sorte que la combinaison des éléments qui la caractérisent du fait de leur agencement particulier lui confère une physionomie propre qui démontre l’effort créatif et le parti pris esthétique portant l’empreinte de la personnalité de son auteur.
CA Paris, 19 oct. 2018, n° 17/00906
NOTE
Une société exerçant son activité dans la création de produits balnéaires revendiquait des hauts et des bas de maillots de bains qui se caractérisaient par la réunion de différents éléments, les maillots étant ornés d’une bande smockée d’environ 3 cm laissant apparaitre de part et d’autre des fronces, la bande étant ornée de broderies comportant des formes géométriques linéaires et triangulaires.
Le Tribunal avait estimé que la combinaison revendiquée serait dépourvue d’originalité au motif que pris individuellement chacun de ces éléments était soit « particulièrement banal et attendu en la matière » (technique du smocke, choix de couleurs vives et contrastées) soit insuffisant « à lui seul pour caractériser l’empreinte de la personnalité et l’originalité d’une œuvre » (pour les fronces apparaissant en bordure de la bande smockée) (TGI Paris, 3ème ch., 1ère sect., 8 déc. 2016 n° 15/11534).
La demanderesse a en conséquence été déclarée « intégralement irrecevable [à agir en contrefaçon de droit d’auteur] pour défaut de qualité à agir ».
Depuis quelques années, une partie de la jurisprudence est devenue extrêmement exigeante pour accorder la protection par le droit d’auteur à des œuvres de l’art appliqué, les créateurs étant le plus souvent déboutés de leur action en contrefaçon pour « défaut d’originalité ».
Selon ces décisions, il appartiendrait au demandeur non seulement de décrire sa création pour circonscrire le périmètre de ce qu’il revendique mais également de démontrer que celle-ci est originale « seul l’auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, [étant] en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité » (il a été ainsi jugé « qu’une simple description objective aussi détaillée soit-elle, ne peut suffire à révéler une source d’inspiration ni témoigner d’un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur » (TGI Paris, 3ème ch., 2ème sect., 26 oct. 2018, n° 16/16108, dans le même sens v. notamment TGI Paris, 3ème ch., 4ème sect., 21 sept. 2017, n° 16/06298).
Même lorsque le demandeur à l’action en contrefaçon a « caractérisé de manière subjective l’originalité de sa création » (Emmanuel Kahn, Un an de droit de la mode, Comm. com. électr. sept. 2017, chron. 10), le Tribunal peut encore estimer que ces explications, purement subjectives, demeurent insuffisantes pour démontrer l’originalité de l’œuvre qu’il revendique.
C’est d’ailleurs ce qu’avait jugé ici le Tribunal en considérant que si « l’explication des caractéristiques dont l’originalité est alléguée sont suffisantes », « pour autant » les maillots de bains revendiqués ne méritent pas d’être protégés, chacun de ses éléments étant « banal ».
Ce raisonnement conduit la plupart du temps le juge à fermer aux objets de l’art appliqué la protection par le droit d’auteur ce alors que les dispositions de la loi de 1957, qui n’ont pas été modifiées :
- rappellent à l’article L. 112-2 du CPI que « sont considérées notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code : 10/ les œuvres des arts appliqués ; 14/ les créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure » ;
- protègent toutes les œuvres de l’esprit « quel que soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » (art. L. 112-1 du CPI) ce qui signifie que le mérite peut être faible mais doit au moins résulter d’un effort de création qui peut être défini objectivement par rapport au domaine public
De surcroit on constate que dans ces décisions le Tribunal déclare parfois le demandeur irrecevable à agir (notamment TGI Paris, 3ème ch., 1ère sect., 7 sept. 2017, n° 16/09508) ce alors, comme le rappellent périodiquement la Cour d’appel et la Cour de cassation, que l’originalité des œuvres éligibles à la protection par le droit d’auteur n’est pas une condition de la recevabilité de l’action (notamment Cass. com. 28 janv. 2013, n° 11-27.351. – CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 30 mai 2017, n° 141/2017).
Mais l’on sait que dans le domaine des arts appliqués la plupart des créations consiste à réunir et à combiner entre eux des éléments ornementaux de sorte que l’originalité résultera presque toujours de la combinaison elle-même.
C’est ce que rappelle ici la Cour qui infirme le jugement en considérant que la combinaison des différents éléments ornant les maillots de bains revendiqués procède d’un effort créateur qu’elle prend le soin de définir objectivement au regard des antériorités qui avaient été produites.
Il n’est en effet pas raisonnable d’exiger du demandeur à l’action en contrefaçon qu’il démontre l’originalité, comme l’avait fait le Tribunal, une telle preuve étant impossible à rapporter. Il lui appartient seulement de préciser c’est-à-dire de dépeindre les éléments constitutifs de son dessin ou de son modèle et c’est à partir de cette description que le juge sera alors en mesure d’apprécier, en tenant compte de l’art antérieur, si celui-ci procède ou non d’un effort créateur (v. notamment CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 19 janv. 2016, n° 14/10676, Propr. industr. avril 2016, p. 50 et nos obs.).
La CJUE s’est également prononcée en ce sens, en matière de dessin et modèle communautaire non enregistré, dans un arrêt du 19 juin 2014 selon lequel : « L’article 85 § 2 du règlement 6/2002 doit être interprété en ce sens que, pour qu’un tribunal des dessins ou modèles communautaires considère un dessin ou modèle communautaire non enregistré comme valide, le titulaire de ce dessin ou modèle n’est pas tenu de prouver que celui-ci présente un caractère individuel au sens de l’article 6 de ce règlement, mais doit uniquement indiquer en quoi ledit dessin ou modèle présente un tel caractère, c’est-à-dire identifier le ou les éléments du dessin ou modèle concerné qui, selon ce titulaire, lui confèrent ce caractère » (CJUE, 2ème ch., 19 juin 2014, Aff. C345/13 : jurisdata n° 2014-01 6009).
Et comme le rappelle la Cour dans l’arrêt commenté, l’originalité, c’est-à-dire l’effort créateur, doit s’apprécier en fonction de l’aspect d’ensemble produit par l’agencement des différents éléments propres au modèle en cause et non, comme l’avait fait le Tribunal, par l’examen de chacun d’eux pris séparément (dans le même sens, CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 20 mars 2013, n° 2011/14436. – TGI Paris, 3ème ch., 2ème sect., 10 avr 2015, n° 2013/11016. – TGI Paris, 3ème ch., 4ème sect., 5 oct. 2017 n° 15/11901).
Encore très récemment la Cour d’appel de Paris a infirmé un jugement qui avait refusé la protection d’un dessin stylisé représentant une tête de tigre, le Tribunal ayant estimé que le demandeur « livre une description à la fois très générale, et ainsi applicable à toutes les créations s’inspirant du genre dans lequel son dessin s’inscrit, et purement technique qui découle de la stricte observation objective de son dessin, et de ce fait inopérante pour caractériser son originalité faute de révéler le choix exprimant un parti pris esthétique et traduisant la personnalité de son auteur. Rien ne permet de délimiter les contours du droit revendiqué et de comprendre en quoi les différents éléments qu’elle se contente de juxtaposer sans les définir sont le fruit d’un choix arbitraire de l’auteur et non la reprise d’une association banale appartenant au fonds commun du dessin de type origami ».
La Cour a au contraire jugé que le dessin revendiqué comportait une combinaison d’éléments protégeables par le droit d’auteur, « la description qui est faite [établissant] suffisamment les caractères créatifs et originaux [dudit dessin] » (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 15 mai 2018 n° 2016/15441. – dans le même sens, CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 30 mai 2017, n° 16/14092).
Cette approche, plus protectrice des intérêts des créateurs, est en outre conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation.
Ainsi, dans une affaire qui concernait un dessin de dentelle, la Cour d’appel avait confirmé en toutes ses dispositions un jugement qui avait refusé de lui accorder la protection au motif que le demandeur « se contente de procéder à une description technique du dessin de dentelle en cause sans jamais démontrer l’effort de création, l’apport créatif ou l’empreinte de la personnalité de son auteur s’agissant, en tout état de cause, d’un dessin de dentelle assez simple… [et qu’en conséquence] faute de démontrer l’originalité du modèle de dentelle en cause au regard des choix arbitraires ayant conduit à sa réalisation par rapport à l’art antérieur, il convient de dire que [le demandeur] ne peut revendiquer la protection au titre du droit d’auteur et doit être déclaré irrecevable en ses demandes » (TGI Lille, 18 juin 2015 n° 14/02502. – CA Douai, 17 nov. 2016, n° 17/1116).
Cet arrêt a été cassé, la Haute Juridiction reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir recherché si l’originalité du dessin résultait de la combinaison des éléments qui étaient revendiqués (Cass. 1ère civ., 7 mars 2018 PIBD 2018 n°1091 III 249 ; Prop industr juin 2018 p 41 et nos obs. – Dans le même sens pour un modèle de montre, Cass. crim. 20 mars 2018 n° 2016/84.564).
Enfin, la Cour rappelle dans son arrêt que dans le domaine du droit d’auteur « l’appréciation de l’originalité se fait indépendamment… de la notion de nouveauté et des antériorités ».
Il est cependant difficile de concevoir une œuvre qui n’étant pas nouvelle serait cependant originale.
Pour apprécier l’originalité des maillots de bains en cause et juger qu’ils étaient protégeables, la Cour a d’ailleurs procédé à l’examen attentif et minutieux des antériorités qui lui avaient été soumises en relevant qu’aucune d’entre elles ne reproduisait la combinaison des éléments revendiqués.
Comme elle l’avait jugé il y a une dizaine d’années, les notions de nouveauté et d’originalité sont étroitement liées car « si l’appréciation de la nouveauté de la création et celle de son originalité procèdent de deux démarches distinctes, il demeure que pour prétendre à l’originalité, une œuvre doit se différencier de celle qui existe, plus exactement préexiste, dans le même champs intellectuel et c’est l’existence de cette différence qui rendra compte des choix non contingents et personnels effectués par l’auteur et qui permettra d’apprécier si l’œuvre, considérée dans son ensemble, constitue ou non une création propre à celui-ci, éligible à la protection conférée par le droit d’auteur » (CA Paris, 4ème ch., B, 4 avr. 2008, n° 06/18377).
La plupart des industries de la mode ne procédant pas à des dépôts de modèle, compte tenu notamment des coûts que cela engendre, il est souhaitable que la jurisprudence, comme l’a fait dans cette affaire la Cour, leur permette d’assurer au mieux une protection par le droit d’auteur.
Certes le DMCNE peut parfois être invoqué par les créateurs, mais la durée de sa protection n’est que de trois ans et la notion de « copie », parfois entendue comme reproduction à l’identique, peut conduire le juge à écarter la contrefaçon. Ce fut le cas dans l’arrêt commenté où la Cour a retenu la contrefaçon au titre du droit d’auteur mais l’a écartée au titre du DMCNE alors que le Tribunal avait jugé l’inverse.