Pour être protégé, un dessin ou un modèle doit répondre à deux conditions :
- être nouveau, ce qui signifie que l’antériorité doit être de toutes pièces, c’est-à-dire identique, et elle est considérée comme identique si elle ne diffère que par des détails insignifiants (art. L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle). La nouveauté s’apprécie donc objectivement sans se référer à un personnage fictif ;
- présenter, ensuite, un caractère « propre » ou « individuel », ces deux expressions ayant le même sens, ce caractère s’appréciant au regard d’un personnage de référence appelé observateur ou utilisateur averti.
Selon l’art. L. 511-4 du Code de la propriété intellectuelle issu de l’ordonnance du 25 juillet 2001 sur les dessins et les modèles :
« Un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l’impression visuelle d’ensemble qu’il suscite chez l’observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date du dépôt de la demande d’enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée.
Pour l’appréciation du caractère propre, il est tenu compte de la liberté laissée au créateur de la réalisation du dessin ou modèle ».
L’art. 5 de la directive du 13 octobre 1998 n° 98/71/CE sur la protection juridique des dessins et modèles, que transpose l’ordonnance précitée du 25 juillet 2001 dispose dans son article 5 :
« Caractère individuel.
- Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant la date de présentation de la demande d’enregistrement ou la date de priorité, si une priorité est revendiquée.
- Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle »
On retrouve une disposition quasiment identique dans le règlement communautaire n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires à l’article 6 :
« Caractère individuel
- Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public :
a) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois ;b) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de prioritéPour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle ».
- Le caractère propre ou individuel d’un modèle doit être apprécié au jour du dépôt (ou au jour de sa divulgation, pour un modèle communautaire non enregistré) d’une part et il appartient d’autre part au déposant d’identifier précisément les caractéristiques qu’il considère comme protégeables pour permette ensuite au juge d’exercer son contrôle sur les éléments considérés comme suscitant ou non, pour l’observateur/utilisateur averti, une même impression d’ensemble entre les modèles comparés (CA Paris, 25 janv. 2013 PIBD 2013 n° 981.III. 1124).
1) L’observateur averti, notion intermédiaire entre le consommateur moyen et l’homme de l’art, est une personne dotée d’une vigilance particulière.
Il convient de définir cet « observateur averti » ou cet « utilisateur averti », ces deux termes étant synonymes.
Le Livre Vert pour la protection des dessins et modèles, qui est le seul document auquel on peut utilement se référer au titre des travaux préparatoires de la directive de 1998 nous apporte sur ce point la précision suivante : « Pour juger si le degré de similitude est suffisamment faible pour reconnaître à l’autre dessin et modèle le caractère de nouveauté, les spécialistes seraient alors en mesure de relever des différences qui, compte tenu des contraintes propres à chaque dossier, pourraient présenter une évolution suffisamment créative, même si elles passent inaperçues aux yeux de l’observateur moyen ».
Confirmant ce qui précède, la Cour de Justice de l’Union Européenne a dit pour droit :
– « la notion d’utilisateur averti s’entend comme une notion intermédiaire entre celle de consommateur moyen, applicable en matière de marque, auquel il n’est demandé aucune connaissance spécifique et qui en général n’effectue pas de rapprochement direct entre les marques en conflit, et celle de l’homme de l’art expert doté de compétences techniques approfondies. Ainsi, la notion d’utilisateur averti peut s’entendre comme désignant un utilisateur doté non d’une attention moyenne mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré» ;
– « S’agissant du niveau d’attention de l’utilisateur averti, il y a lieu de rappeler que, si celui-ci n’est pas le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé qui perçoit habituellement un dessin ou un modèle comme un tout et ne se livre pas à un examen de ces différents détails, il n’est pas non plus l’expert ou l’homme de l’art capable d’observer dans le détail les différences minimes susceptibles d’exister entre les modèles ou dessins en conflit. Ainsi, le qualificatif « averti » suggère que, sans être un concepteur ou un expert technique, l’utilisateur connaît différents dessins ou modèles existant dans le secteur concerné, dispose d’un certain degré de connaissance quant aux éléments que ces dessins ou modèles comportent normalement, et du fait de son intérêt pour les produits concernés, fait preuve d’un degré d’attention relativement élevé lorsqu’il les utilise « (CJUE 20 oct. 2011 aff. C281/10 points 53 et 59).
Cette définition a été reprise depuis dans plusieurs décisions communautaires (notamment TUE : 12 mars 2014 Aff. T135/12 point 58 ; TUE 7 nov. 2013 aff. T666/11 point 32.) et elle est aujourd’hui entérinée par la jurisprudence française.
Ainsi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a pu récemment casser une décision de Cour d’appel qui, pour apprécier le caractère propre d’un modèle, avait retenu à tort que « l’observateur averti est le consommateur auquel le produit est destiné » (Cass. com. 3 avr. 2013 PIBD 2013 n° 984.III.1206).
La jurisprudence considère que l’observateur averti peut être un professionnel ou un consommateur dès lors qu’il « est doté d’une vigilance particulière en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du marché ».
Il importe peu en réalité de savoir si l’observateur averti doit être un consommateur ou un professionnel, le texte exigeant seulement qu’il soit « averti » c’est-à-dire par définition compétent, avisé et expérimenté, ce que ne peut pas être un consommateur moyen.
On constate d’ailleurs que les Tribunaux se réfèrent la plupart du temps au professionnel et au consommateur en rappelant qu’il appartient au demandeur à l’action en contrefaçon de définir l’observateur averti (notamment TGI Paris 22 nov. 2013 PIBD 2014 n° 1002. III. 260).
Ainsi : pour un modèle de flacon en verre en forme de Tour Eiffel, l’observateur averti est « la boutique de souvenirs ou le consommateur régulier de souvenirs touristiques ou de confiseries » (TGI Paris. 17 janv. 2014, PIBD 2014 n° 1007.III.482) ; pour un modèle de fer à coiffer, l’observateur averti est « l’acheteur ou l’utilisateur habituel des fers à coiffer à titre privé ou professionnel » (TGI Paris 20 juin 2014 PIBD 2014. n° 1014.III.788) ; pour un modèle d’auvents de préaux, c’est « l’acheteur ou le vendeur qui s’intéressent aux abris portant des structures légères en toile tendue montées sur des armures métalliques » (CA Paris.11 janv. 2013 PIBD 2013 n° 978.III.999) ; pour un modèle de radiateurs, il s’agit du « destinataire final du produit qui pourra être soit un professionnel chauffagiste soit même un particulier possédant des connaissances techniques suffisantes pour équiper un local avec une installation de chauffage par radiateur » ( CA Paris 18 nov. 2011 PIBD 2012 n° 953.III.32) ; pour une pochette en plastique destinée à contenir un maillot de bain, l’observateur averti sera « le consommateur final du maillot de bain mais également le vendeur du maillot de bain qui souhaite acheter des produits pour les proposer à la clientèle » (TGI Paris 27 sept. 2013 PIBD 2014 n° 998.III.83) ; pour un modèle de sandales, l’utilisateur averti « pourra être la personne ayant vocation à utiliser des sandales et sera dotée d’une vigilance particulière » (CA Paris 8 févr. 2013 PIBD 2013 n° 982.III.1145) ; pour un modèle destiné à être apposé sur des vêtements, l’utilisateur averti pourra être « les jeunes, ou des enfants achetant habituellement des teeshirts, des casquettes ou des autocollants ou des utilisateurs d’imprimés » (CJUE 18 octobre 2012, aff C101-11 et C 102- 11P) ; pour un modèle de buse destinée à vaporiser des goutelettes, le Tribunal de Grande Instance de Paris a pu considéré qu’un tel modèle « est un matériel professionnel qui intéresse spécialement les chefs de rayons des produits alimentaires frais » (TGI Paris 5 mai 2014 PIBD 2014 n° 1012.III.720) ; pour un modèle de montre, le Tribunal de l’Union européenne estime que l’utilisateur averti est « …un véritable amateur de montres qui s’est informé sur les différentes formes et types de montres par le biais, par exemple, de magazines spécialisés ou de recherches sur internet ou s’est renseigné dans des magasins, tels que des bijouteries, qui proposent ces produits à la vente…il s’agit d’une personne qui s’intéresse au marché des montres en général et se tient régulièrement informée » (TUE 25 avr 2013 aff T80/10 point 109).
2) La comparaison de l’impression globale par l’observateur averti doit être synthétique.
La condition de caractère propre ou individuel sera donc satisfaite, si aux yeux de l’observateur ou de l’utilisateur averti, les modèles qu’il compare produisent sur lui une impression d’ensemble différente.
Etant précisé que l’utilisateur/observateur averti ne pourra pas agencer des éléments distincts de plusieurs antériorités pour procéder à leur comparaison avec le dessin ou modèle contesté.
C’est en ce sens que s’est prononcée la CJUE, en réponse à une question préjudicielle, en considérant que l’appréciation du caractère individuel d’un modèle devait s’effectuer au regard de l’utilisateur averti « par rapport à un ou plusieurs dessins ou modèles précis, individualisés, déterminés et identifiés parmi l’ensemble des dessins ou modèles divulgués au public antérieurement » et non par rapport à « une combinaison d’éléments isolés, tirés de plusieurs dessins ou modèles antérieurs » (CJUE 19 juin 2014 aff. C345/1325).
On retrouve, mutatis mutandis, ce principe en droit d’auteur français, l’originalité d’un modèle s’appréciant toujours « de manière globale, en fonction de l’impression d’ensemble produite par l’agencement des différents éléments constituant le modèle en cause et non par l’examen de chacun de ces éléments pris individuellement » (notamment CA Paris Pôle 5 ch. 1. 19 oct. 2011 R.G. 10/08918).
La jurisprudence communautaire a en outre eu l’occasion de préciser que « la comparaison des impressions globales produites par les dessins ou modèles doit être synthétique et ne peut se borner à la comparaison analytique d’une énumération de similitudes et de différences. Cette comparaison doit porter uniquement sur les éléments effectivement protégés, sans tenir compte des caractéristiques exclues de la protection. Ladite comparaison doit porter sur les dessins ou modèles tels qu’enregistrés, sans qu’il puisse être exigé du demandeur en nullité une représentation graphique du dessin ou modèle invoqué, comparable à la représentation figurant dans la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté. Toutefois, il n’est pas erroné de prendre en compte, à titre d’illustration lors de ladite comparaison, les produits effectivement commercialisés et correspondant à ces dessins ou modèles tels qu’enregistrés ». (TUE 7 novembre 2013, aff T 666/11 point 30).
3) L’observateur averti doit, dans l’appréciation concrète de l’impression globale, tenir compte :
a) de la nature du produit et de la manière dont il est utilisé
Selon la jurisprudence communautaire, « la qualité d’utilisateur averti implique que la personne concernée utilise le produit dans lequel est incorporé le dessin ou le modèle en conformité avec la finalité à laquelle ce produit est destiné » et il convient donc de « tenir compte de la nature du produit auquel le dessin ou le modèle s’applique ou dans lequel celui-ci est intégré et notamment du secteur industriel dont il relève » (TUE 6 juin 2013, PIBD 2013 n° 994.III.1573, points 58 et 62).
C’est ainsi que s’agissant de modèles de cadrans de montres qui changent de couleurs en fonction de l’heure, le Tribunal de l’Union Européenne a considéré que de tels produits étaient « destinés à être portés de manière visible au poignet et que l’utilisateur averti prêtera une attention toute particulière à leur apparence. En effet, il les examinera attentivement et sera donc en mesure de percevoir…que les dessins ou modèles antérieurs produisent une plus large combinaison de couleurs que le dessin ou modèle contesté et, contrairement à celui-ci, une variation de l’intensité des couleurs. Etant donné l’importance de l’apparence desdits produits pour l’utilisateur averti, ces différences, même à les supposer faibles, ne seront pas considérées comme anodines par celui-ci » (TUE 6 juin 2013 précité, PIBD 2013 n° 994.III.1573, point 62).
b) du degré de liberté du créateur
L’utilisateur averti doit, dans l’appréciation concrète de l’impression globale des modèles tenir compte du « degré de liberté du créateur » dans l’élaboration des modèles contestés. Cette exigence figure dans les articles précités L. 511-4 du Code de la propriété intellectuelle, 5 de la directive n° 98/71/CE du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins et modèles et 6 du règlement communautaire n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires.
Le degré de liberté du créateur a été défini par la jurisprudence communautaire comme pouvant être lié notamment « aux contraintes [relative] aux caractéristiques imposées par la fonction technique du produit ou d’un élément du produit, ou encore des prescriptions légales applicables au produit auquel le dessin ou le modèle est appliqué. Ces contraintes conduisent à une normalisation de certaines caractéristiques devenant alors communes aux dessins et modèles appliqué au produit concerné » (Notamment TUE 12 mars 2014 aff T3015/12 point 66).
Il en résulte que plus la liberté du créateur dans l’élaboration du modèle sera restreinte, plus les différences mineures entre les modèles en cause pourront suffire à produire une impression globale différente sur l’utilisateur averti. A l’inverse, plus la liberté du créateur sera grande et moins des différences mineures entre les dessins ou modèles comparés suffiront à produire sur notre utilisateur averti une impression globale différente.
Autrement dit « un degré élevé de liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou d’un modèle renforce la conclusion selon laquelle les dessins ou modèles comparés ne présentant pas de différences significatives produisent une même impression globale sur l’utilisateur averti » (TUE 12 mars 2014 aff T3015/12 précité point 67).
Le raisonnement sera le même pour apprécier la contrefaçon, la comparaison ne pouvant porter que sur des éléments de forme ou des éléments ornementaux à l’exclusion des caractéristiques fonctionnels (TGI Paris 15 mai 2014 PIBD 2014 n° 1012.III.720).
Le degré de liberté du créateur pourra également être limité par d’autres contraintes relevant, par exemple, des tendances de la mode. C’est ainsi que s’agissant d’un modèle de sandales, la Cour d’appel de Paris a pu retenir la contrefaçon en considérant que « l’impression globale que produira chacun des modèles sur l’utilisateur averti, qui pourra être la personne ayant vocation à utiliser ces sandales et sera dotée d’une vigilance particulière, ne sera pas différente dès lors qu’ils ne sont pas seulement susceptibles d’être apparentés à une même tendance de la mode (la tendance gladiateur) mais qu’ils sont particulièrement proches tant leurs différences sont peu perceptible» (CA Paris 8 févr 2013 précité PIBD 2013 n° 982.III.1145).
c) de l’éventuelle « saturation de l’état de l’art »
Lorsque les dessins ou modèles comparés sont très proches, le mécanisme de la protection pourra néanmoins jouer en cas de « saturation de l’état de l’art ».
Le Tribunal de l’Union Européenne a eu l’occasion de recourir à cette notion en soulignant que lorsque le secteur concerné, en l’occurrence il s’agissait de radiateurs, a été « saturé en terme de design », une telle saturation « ne saurait être considérée comme limitant la liberté du créateur [mais] elle peut être de nature, lorsqu’elle est avérée, à rendre l’utilisateur averti plus sensible aux différences de détails des dessins ou modèles en cause avec pour conséquence qu’un dessin ou modèle peut, du fait d’une saturation de l’état de l’art, avoir un caractère individuel du fait de caractéristiques qui, en l’absence d’une telle saturation, ne serait pas susceptible de susciter une différence d’impression globale sur l’utilisateur averti » (TUE 12 mars 2014 aff. 315/12.points 82 et s.).
d) En revanche ne sont pas pris en compte :
– Les idées qui sont de libre parcours en droit des dessins et modèles (comme en droit d’auteur)
Le Tribunal de l’Union a par ailleurs clairement rappelé que « le droit des dessins et modèles protège l’apparence d’un produit ou d’une partie d’un produit, mais pas expressément les idées ayant prévalu lors de sa conception. Dès lors [il n’est pas possible de] prétendre obtenir, sur la base des dessins et modèles antérieurs, une protection pour l’idée sous-jacente à ceux-ci, à savoir l’idée d’un cadran de montre qui permet de lire l’heure en fonction des couleurs des disques qui le composent » (TUE 6 juin 2013 précité, PIBD 2013 n° 994.III.1573, point 72).
Il a pu cependant être jugé, il est vrai par une juridiction nationale en l’occurrence anglaise, qu’un modèle de seau à glace, qui n’était pourtant que la simple transposition d’une forme déjà connue de sac servant à transporter des bouteilles, et qui ne résultait donc que d’une simple idée, mériterait la protection par le droit des dessins et modèles. Un tel raisonnement qui conduit ainsi à protéger une idée est critiquable (Pour un avis contraire, voir le commentaire de cette décision England and Wales Patents Country Court 30 juillet 2012, Revue de la propriété industrielle juin 2013 page 33 note Marino).
– Les facteurs purement économiques, comme le prix.
La jurisprudence communautaire a précisé que n’entrait pas en ligne de compte dans la comparaison à laquelle se livre l’observateur averti « la détermination du prix des produits visés à l’enregistrement… [qui] relève des intentions commerciales de l’entreprise qui les commercialise » en rappelant que « l’examen du caractère individuel d’un dessin ou modèle consiste à vérifier si l’impression globale produite sur ce dernier se différencie des impressions globales produites par les dessins et modèle divulgués antérieurement, indépendamment de considérations esthétiques et commerciales » (TUE 25 avr. 2013 précité aff. T80/10 points 107, 108 et 121).
De même, les motifs qui conduisent à l’achat du modèle sont sans incidence sur l’examen de son caractère individuel mais « relèvent de la perception qu’ont les consommateurs des produits auxquels ledit dessin ou modèle contesté est appliqué….ainsi que de la marque sous laquelle [le produit est] commercialisé, mais non du dessin ou modèle contesté » (TUE 25 avr 2013 précité aff T80/10 point 123).
4) L’utilisateur averti procèdera en principe à une comparaison directe des produits et il peut être tenu compte, lors l’évaluation de l’impression globale, des produits tels qu’ils sont effectivement commercialisés.
Plus subtile et sans doute difficile à appliquer est la notion de « souvenir imparfait » dans l’impression globale qui est produite sur l’utilisateur averti qui compare deux modèles, notion à laquelle s’est référée la CJUE.
La Cour a en effet dit pour droit que « ..la nature même de l’utilisateur averti tel qu’il a été défini par la Cour implique que, lorsque cela est possible, il procèdera à une comparaison directe de la marque antérieure et du dessin et modèle contesté. Il ne peut cependant pas être exclu qu’une telle comparaison soit infaisable ou inhabituelle dans le secteur concerné, notamment du fait de circonstances spécifiques ou du fait de caractéristiques [que] les objets [antérieurs] et le dessin ou modèle contesté représentent…..[on ne peut partir de la « prémisse »] selon laquelle un utilisateur averti procèdera en toute hypothèse à une comparaison directe….il ne saurait être considéré que le législateur de l’Union a eu l’intention de limiter l’évaluation des éventuels modèles ou dessins à une comparaison directe…Il s’ensuit que [la comparaison peut être fondée] sur le souvenir imparfait de l’impression globale produite par [les modèles comparés] que l’utilisateur averti conserve en mémoire » (CJUE 18 oct. 2012 PIBD 2013 n° 976.III.924, points 54, 55, 56 et 57).
La règle reste donc celle d’une comparaison directe par l’utilisateur averti, très rare étant d’ailleurs les cas où la jurisprudence a eu recours à la notion, pour le moins vague et imprécise, de « souvenir imparfait » (voir cependant pour un modèle d’armes, OHMI, division d’annulation du 22 février 2013, IDC 8875, revue de la propriété industrielle mai 2013 page 47, note Jean Pierre Gasnier).
En outre, pour apprécier le degré de proximité des modèles comparés, il est également possible de prendre en considération les produits tels qu’ils sont commercialisés. C’est ce qu’a jugé la Cour de justice, cette solution résultant de la définition même de l’utilisateur averti « qui se distingue du simple consommateur moyen » de sorte qu’ « il n’est pas erroné de prendre en compte, lors de l’évaluation de l’impression globale des dessins ou modèles en cause, les produits effectivement commercialisés et correspondant à ces dessins ou modèles » (CJUE 20 octobre 2011 aff 281/10 P point 73).
La Cour approuve ici une décision du Tribunal qui avait considéré « que son appréciation sur le degré de convexité des modèles en cause est « confirmée » par les produits réellement commercialisés », la Cour relevant qu’il « résulte de l’utilisation du verbe « confirmer » que le Tribunal a en réalité fondé ses appréciations sur les modèles ou dessins en conflit tels que décrits et représentés dans les demandes d’enregistrement respectives, de sorte que la comparaison des produits réels a été utilisé seulement à titre illustratif pour confirmer les conclusions déjà tirées et ne sauraient être considérée comme représentant le fondement de la motivation de l’arrêt attaqué » (point 74 de l’arrêt).
5) Lors de l’appréciation de la contrefaçon par imitation, il convient également de tenir compte du point de vue de l’utilisateur averti.
On retrouve l’observateur averti comme personnage de référence lorsqu’il s’agit d’apprécier la contrefaçon par imitation, l’article L. 513-5 du Code de la propriété intellectuelle disposant en effet que : « La protection conférée par l’enregistrement d’un dessin ou modèle s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente ».
La Cour de cassation a ainsi pu approuver une décision d’appel qui avait relevé « que la forme avant du véhicule déposé présentait des ressemblances avec les véhicules incriminés mais que les formes arrières et latérales comportaient de notables différences, que la Cour d’appel a retenu que le modèle argué de contrefaçon, dotée d’une physionomie propre, n’était pas susceptible de produire sur l’observateur averti la même impression d’ensemble que le modèle déposé » et que ce faisant la cour d’appel « en a exactement déduit que la contrefaçon n’était pas constituée » (Cass com 8 avr 2014 PIBD 2014 n° 1008.III.528).
De même encore, pour un modèle de buse destiné à vaporiser des goutelettes, le Tribunal a pu écarter la contrefaçon en jugeant que « les différences sont suffisamment évidentes pour permettre à [l’]utilisateur averti, qui cherche à améliorer l’attractivité de son rayon [de produits alimentaires], de distinguer aisément [les deux modèles] qui ne produiront pas sur lui la même impression d’ensemble » (TGI Paris 15 mai 2014 PIBD n° 1012.III.720).
Il en résulte comme a eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises la Cour de cassation (Cass. com. 23 sept. 2008 PIBD 2008 n° 883.III.608 et Cass.com. 15 juin 2010 PIBD 2010 n° 923.III.553), qu’il n’y a pas lieu, pour apprécier la contrefaçon d’un dessin ou d’un modèle, de rechercher s’il existe un risque de confusion pour un consommateur d’attention moyenne, la notion de risque de confusion étant étrangère au droit des dessins et modèles, comme elle est étrangère au domaine du droit d’auteur.
Cette solution est d’ailleurs conforme aux dispositions de l’article L. 511-1 qui précise que peuvent être protégée « l’apparence d’un produit ou d’une partie d’un produit », ce qui implique que la contrefaçon d’un dessin ou d’un modèle peut résulter de la copie partielle d’un produit. Si la copie n’est que partielle il est vraisemblable qu’il n’y aura pas de confusion entre le modèle déposé et le produit contrefaisant.
6) Conclusion.
Il ressort de la jurisprudence analysée que la législation assure une protection efficace aux dessins et modèles car ce qui semblera proche ou similaire et suscitera une même impression d’ensemble chez un observateur moyen suscitera, la plupart du temps, une impression d’ensemble différente pour l’observateur averti qui, du fait de son expérience, relèvera plus facilement les différences existant entre les dessins ou modèles à comparer.
C’est ce qu’a rappelé très récemment le Tribunal de l’Union Européenne en d’excellents termes dans un arrêt du 7 novembre 2013 : « …le caractère individuel d’un dessin ou d’un modèle résulte d’une impression globale de différence, ou d’absence de déjà vu de l’utilisateur averti, par rapport à toute antériorité au sein du patrimoine des dessins ou modèles, sans tenir compte des différences insuffisamment marquées pour affecter ladite impression globale bien qu’excédant des détails insignifiants, mais en ayant égard à des différences suffisamment marquées pour créer des impressions d’ensemble dissemblables » (TUE 7 novembre 2013 précité, aff T 666/11 point 29). L’utilisateur averti n’étant pas un homme de l’art comme l’est le concepteur d’un produit ou un technicien, les différences de détails ne seront pas prises en considération dans l’évaluation du caractère propre.
Comme le souligne le Professeur PASSA dans son traité, cette « condition n’est donc finalement pas si rigoureuse, en tout cas beaucoup moins que celle d’activité inventive en droit des brevets avec laquelle elle a été comparée, car pour que l’impression d’ensemble soit la même pour un observateur averti et la protection par conséquent exclue, les dessins ou modèles comparés doivent être très proches, et pas seulement appartenir à une même tendance » (Jérôme Passa, Droit de la propriété industrielle Tome I. LGDJ 2006 n° 701).
On observe d’ailleurs, au cours de ces dernières années, une tendance très nette des tribunaux à mieux protéger les modèles déposés et même à les protéger parfois en l’absence de toute création de sorte qu’un produit peut ne pas être protégé par les dispositions de la loi sur le droit d’auteur pour défaut d’originalité et l’être par le droit spécifique des dessins et modèles.
C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 8 juin 2011 a pu protéger un simple ruban disposé sur une poche de vêtement, l’une de ses extrémités cousue sur la bordure de la poche et l’autre extrémité traversant la poche par une boutonnière en considérant que : « Si la combinaison revendiquée, à savoir « une griffe de poche de vêtement dont l’une des extrémités est rabattue sur la bordure de la poche pour y être cousue à l’intérieur, et l’autre extrémité traverse la poche dans une boutonnière pour y être également rabattue et cousue à l’intérieur de la poche, matérialisée par un ruban de tissus de dimensions arbitrairement choisies, apposée à cheval sur l’extrême droite du haut de la poche, pinçant légèrement la bordure de poche », procède de choix arbitraires de positionnement, de fixation dans une boutonnière ou de dimensions, il ne peut pour autant être admis qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur témoignant d’une activité créatrice certaine, même limitée ; la décision entreprise sera en conséquence infirmée en ce qu’elle a admis que ce modèle était protégeable au titre du droit d’auteur. Ayant fait l’objet d’un enregistrement par l’INPI, ce modèle doit bénéficier de la protection des dessins et modèles, dès lors qu’il n’est nullement argué d’une absence de nouveauté et qu’il n’est produit aucun élément de nature à contredire son caractère propre, étant relevé qu’il est admis qu’il présente des caractéristiques spécifiques » (CA Paris Pôle 5 1ère ch. 8 juin 2011 JCP 2011, p. 1707 et nos obs.).
La condition de création serait donc étrangère au droit des dessins et modèles selon la jurisprudence, ce alors que les dispositions du livre V se réfèrent à plusieurs reprises au « créateur » (art. L. 511-4 al. 2 du CPI précité selon lequel « Pour l’appréciation du caractère propre il est tenu compte de la liberté laissée au créateur de la réalisation du dessin ou modèle » et art. L. 511-6 a) et b) « Si le dessin ou modèle a été divulgué par le créateur et si le dessin ou modèle a été divulgué à la suite d’un comportement fautif à l’encontre du créateur »).
La jurisprudence s’oriente ainsi vers un cumul partiel de protection des livres I et V du Code de la propriété intellectuelle, les conditions de protection n’étant plus les mêmes entre le droit d’auteur et le droit des dessins et modèles comme cela a été le cas en France pendant plus d’un siècle.
On constate cependant que lorsque les deux fondements juridiques sont invoqués, les solutions apportées par les Tribunaux français sont, dans la très grande majorité des cas, les mêmes. Ce qui est protégé par le droit d’auteur l’est presque toujours par la loi sur les dessins et modèles et réciproquement, même si les fondements juridiques des deux lois diffèrent.