La CJUE a été saisie des questions préjudicielles suivantes par le Tribunal de l’entreprise de Liège :
- Le droit de l’Union, et plus particulièrement la directive [2001/29], laquelle fixe notamment les différents droits exclusifs reconnus aux titulaires de droit d’auteur à ses articles 2 à 5, doit-il être interprété comme excluant de la protection par le droit d’auteur les œuvres dont la forme est nécessaire pour aboutir à un résultat technique ?
- Afin d’apprécier le caractère nécessaire d’une forme pour aboutir à un résultat technique, faut-il avoir égard aux critères suivants :
- L’existence d’autres formes possibles permettant d’aboutir au même résultat technique ?
- L’efficacité de la forme pour aboutir audit résultat ?
- La volonté du prétendu contrefacteur d’aboutir à ce résultat ?
- L’existence d’un brevet antérieur, aujourd’hui expiré, sur le procédé permettant d’aboutir au résultat technique recherché ? »
Le modèle concerné par cette procédure est un vélo comportant un système de pliage antérieurement protégé par un brevet tombé dans le domaine public.
L’originalité du vélo, revendiqué au titre du droit d’auteur, était contestée en défense, le poursuivi en contrefaçon faisant valoir que sa forme était imposée par la solution technique recherchée.
Dans ses conclusions, l’avocat général a soutenu que :
- « …le critère général veut qu’il ne soit pas possible de protéger par des droits d’auteur les œuvres (objets) des arts appliqués dont la forme est conditionnée par la fonction. Si l’apparence de l’une de ces œuvres est dictée exclusivement par sa fonction technique en tant que facteur déterminant, celle-ci ne pourra bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur » (conclusions de l’avocat général du 6 février 2020, affaire C-833/18, point 65) ;
- « la logique de l’application de ce critère aux droits d’auteur est la même que celle qui sous-tend les dessins et modèles et les marques » (point 66) ;
- « ….à l’inverse, le seul fait qu’un dessin fasse apparaitre un certain nombre d’éléments fonctionnels ne l’empêche pas de bénéficier de ladite protection au titre du droit d’auteur » (point 67) ;
- Faisant référence à l’arrêt DOCERAM du 8 mars 2018 (aff C395/16), il ajoute que « la solution pour les dessins et modèles peut être extrapolée, mutadis mutandis, pour discerner le degré d’originalité des « œuvres » à application industrielle dont les créateurs demandent la protection au titre du droit d’auteur » (point 88).
La Cour de justice (CJUE, 11 juin 2020, aff C 833/18) va suivre ce raisonnement en rappelant tout d’abord qu’ « un objet satisfaisant à la condition d’originalité peut bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur, quand bien même la réalisation de celui-ci a été déterminée par des considérations techniques, pour autant qu’une telle détermination n’a pas empêché l’auteur de refléter sa personnalité dans cet objet en manifestant des choix libres et créatifs » (point 26 de la décision) (JC Galloux et Pascal Kamina, chronique droit des dessins et modèles internes et communautaires, Dalloz, 6 août 2020, n°28, 1592. – Frédéric Glaize, un an de jurisprudence en droit des dessins et des modèles, Propr. industr. oct. 2020, p. 29, n° 14).
Il est inutile d’insister sur cette première proposition. La Cour d’appel de Paris s’est déjà prononcée à plusieurs reprises dans le même sens en soulignant “qu’une forme qui répond à un souci ornemental et qui porte l’empreinte de la personnalité de celui qui la trace peut aussi servir à une fonction utilitaire” ajoutant que “l’exercice d’une fonction utilitaire n’est pas exclusif d’une protection par le droit d’auteur dès lors que la forme adoptée révèle un apport original” (CA Paris, pôle 5 ch 2, 6 nov 2009 n°08/21238).
Il est en effet évident qu’un modèle a nécessairement une destination utilitaire, comme il est constitué par des éléments qui répondent à cette fonction. Ainsi la forme insusceptible de protection doit être asservie à la fonction qu’elle exerce et peut faire l’objet d’un apport ornemental (P. et F. Greffe, Traité des dessins et des modèles, 10ème éd., n° 168. – CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 27 mai 2011, n° 09/01115. – CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 30 juin 2015, n° 14/05098. – CA Paris, 10 nov. 2016, PIBD 2016, 1041, III, 49. – Cass. crim, 4 avr. 2018, PIBD 2018, 1095, III, 388. – CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 27 mars 2018, PIBD 2018, 1093, III, 318).
La Cour de justice indique ensuite que “dans le cas où la forme du produit est uniquement dictée par sa fonction technique, ledit produit ne pourrait relever de la protection au titre du droit d’auteur” (point 33) et que “…seule l’originalité du produit concerné doit être appréciée, l’existence d’autres formes possibles permettant d’aboutir au même résultat technique, si elle permet de constater l’existence d’une possibilité de choix, n’est pas déterminante pour apprécier les facteurs ayant guidé le choix effectué par le créateur….” (point 35).
Ce faisant, la Cour condamne une nouvelle fois sans détour, comme elle l’avait fait en matière de modèles (CJUE, 8 mars 2018, aff C 395/16 précitée) et en droit des marques (CJCE, 18 juin 2002, aff C 299/99, Traité des dessins et des modèles précité, n° 154 ; CJUE, 14 sept 2010, aff C 48/09; CJUE, 16 sept 2015, aff C 215/14, prop.industr.2015, comm 77, A folliard-Mongiral), le critère de la multiplicité des formes.
Le caractère inséparable de la forme et du résultat industriel recherché doit donc être examiné par rapport à la forme sur laquelle le droit d’appropriation est revendiqué même s’il existe d’autres formes procurant le même résultat, l’existence de formes alternatives ne constituant qu’un indice pour apprécier la liberté de choix du créateur.