Solution : La commercialisation non équivoque d’un modèle fait présumer, à l’égard des tiers poursuivis en contrefaçon, que la personne morale qui l’exploite sous son nom dans l’Union européenne est, en l’absence de toute revendication du créateur, titulaire du modèle communautaire non enregistré.
Impact : La règle prétorienne de la présomption de titularité de droits d’auteur s’applique également au DMCNE
CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 2 nov. 2022, n° 20/18672
« Sur les demandes en contrefaçon de dessin et modèle communautaire non enregistré
Sur la recevabilité des demandes : la titularité des droits
La société H&M soulève l’irrecevabilité de la société IM PRODUCTION à agir en contrefaçon de modèle communautaire non enregistré, faisant valoir qu’elle ne prouve pas sa qualité de cessionnaire du modèle et que la présomption de titularité du droit d’auteur, propre au droit français de la propriété littéraire et artistique, n’a pas vocation à être étendue au droit des dessins et modèles communautaires alors que le règlement n° 6/2002 ne prévoit pas un tel mécanisme et que la CJCE l’a exclu (FEIA, 2 juillet 2009, C-32/08).
Les appelantes répondent qu’en application de l’article 15-1 du Règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001, la personne morale qui n’est pas créateur mais qui justifie d’une divulgation, peut revendiquer des droits sur le dessin et modèle non enregistré en l’absence de revendication du créateur.
Aux termes de l’article 14 du Règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires, ‘1. Le droit au dessin ou modèle communautaire appartient au créateur ou à son ayant droit (…)’. Selon l’article 15 du même règlement, ‘Revendication du droit à un dessin ou modèle communautaire – 1. Si un dessin ou modèle communautaire non enregistré est divulgué ou revendiqué par une personne qui n’est pas habilitée en vertu de l’article 14 ou si un dessin ou modèle communautaire enregistré a été déposé ou enregistré au nom d’une telle personne, la personne habilitée aux termes dudit article peut, sans préjudice de tous autres droits ou actions, revendiquer d’être reconnue en tant que titulaire légitime du dessin ou modèle communautaire (…)’.
Il se déduit de ces dispositions que la commercialisation non équivoque d’un modèle fait présumer à l’égard des tiers poursuivis en contrefaçon et en l’absence de toute revendication du créateur, que la personne morale qui justifie de cette commercialisation sous son nom et des modalités dans lesquelles elle la réalise est titulaire du modèle communautaire non enregistré.
En l’espèce, en l’absence de toute revendication de Mme [U], créatrice de la veste ‘Eloïse’, la société IM PRODUCTION, qui, comme il a été dit, justifie de la commercialisation paisible et non équivoque de la veste ‘Eloïse’, bénéficie à l’égard de la société H&M poursuivie en contrefaçon de la présomption de titularité du dessin et modèle communautaire non enregistrée, la jurisprudence de la CJCE invoquée par la société H&M concernant le transfert par contrat du dessin et modèle communautaire du créateur à un ayant-droit ne correspondant pas au cas d’espèce où aucun contrat n’a été conclu entre la créatrice et la société IM PRODUCTION.
La fin de non-recevoir soulevée par la société H&M sera donc rejetée et le jugement, qui n’a pas statué sur cette fin de non-recevoir, sera complété en ce sens ».
NOTE :
Cet arrêt mérite l’attention, peu de décisions ayant été rendues sur la question de la titularité des droits portant sur un DMCNE.
Selon l’article 14 paragraphe 1 du règlement CE n° 6/2002 du 12 décembre 2001, « le droit au dessin ou modèle communautaire appartient au créateur ou à son ayant-droit ».
Il en résulterait que lorsque le modèle a été créé par un tiers la personne morale qui l’exploite devrait, pour être déclarée recevable à agir, prouver sa qualité de cessionnaire.
On sait que la question ne se pose pas lorsque le modèle a été réalisé par un salarié en application du paragraphe 3 de l’article 14 du règlement qui dispose que « lorsqu’un dessin ou modèle est réalisé par un salarié dans l’exercice de ses obligations ou suivant les instructions de son employeur, le droit au dessin ou modèle appartient à l’employeur, sauf convention contraire ou sauf disposition contraire de la législation nationale applicable ».
La demanderesse à l’action est alors fondée, pour justifier de la titularité de ses droits, même si elle n’a pas divulgué personnellement le modèle revendiqué, à invoquer le paragraphe 3 de l’article 14 en démontrant que le modèle a été réalisé par un de ses salariés (CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 2 oct. 2018, n° 16/20633).
Mais qu’en est-il lorsque les dispositions de l’article 14 paragraphe 3 ne trouve pas à s’appliquer, ce qui sera le cas si le modèle revendiqué n’a pas été réalisé par un salarié.
Faut-il exiger de la personne morale qui exploite le modèle qu’elle prouve sa qualité de cessionnaire ?
Plusieurs décisions avaient admis qu’une telle exigence ne se justifiait pas en faisant application de la présomption de titularité (CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 8 fév. 2013, n° 2011/02407. – TGI Paris, 3ème ch., 4ème sect., 22 nov. 2018, n° 17/12253. – v. cependant, CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 25 mai 2012, n° 2011/11973. – TGI Paris, 3ème ch., 2ème sect., 29 janv. 2010, n° 2009/10325 qui ont refusé d’appliquer la règle de présomption de titularité faute par la personne morale d’avoir démontré qu’elle avait la qualité de cessionnaire).
Certains auteurs ont critiqué cette solution estimant que les tribunaux feraient ainsi « application en l’absence de toute législation, de la présomption prétorienne de titularité développée en droit d’auteur (…). En effet, appliquer une présomption issue du droit d’auteur au droit des dessins et modèles conduit à créer une dépendance entre ces droits et considérer, sans doute au nom du principe du cumul de protection même s’il n’est pas expressément visé, que lorsqu’aucune règle n’existe dans le droit spécial, on doit la chercher dans le droit général que semble représenter le droit d’auteur » (Droit de la mode – Un an de droit de la mode, Chron. Anne-Emmanuel Khan, Comm. comm. électr. n° 9, sept. 2019, chron. 10).
Ces objections ne nous semblent pas pertinentes, aucun texte n’édictant, en droit d’auteur, une présomption de titularité des droits au profit des personnes morales, s’agissant d’une règle prétorienne qui opère à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon et vise à permettre à la personne morale d’agir en contrefaçon pour la défense de ses intérêts patrimoniaux (Cass., 1ère civ., 10 juil. 2014, n° 2013/16465).
La décision commentée règle la question dans un sens favorable aux entreprises en se fondant sur l’article 15 du règlement sur la « Revendication du droit à un dessin ou modèle communautaire » qui dispose : « Si un dessin ou modèle communautaire non enregistré est divulgué ou revendiqué par une personne qui n’est pas habilitée en vertu de l’article 14 (…), la personne habilitée aux termes dudit article peut, sans préjudice de tous autres droits et actions, revendiquer d’être reconnue en tant que titulaire du dessin ou modèle communautaire ».
La Cour estime qu’une société peut donc bénéficier, comme en droit d’auteur, d’une présomption de titularité sur un DMCNE, en l’absence de revendication du ou des auteurs.
Cette solution ne peut qu’être approuvée tant il est vrai qu’en la matière, le recours à des actes de cession peut être délicat, pour ne pas dire, dans un très grand nombre d’hypothèses, impossible, outre qu’il s’agit dans la majorité des cas d’œuvres collectives.