TGI PARIS 3ème chambre 4ème section 10 juillet 2014 (PIBD 2014 n° 1015 III 828)
Dessin et modèle communautaire non enregistré : divulgation du modèle au milieu spécialisé. Copie.
« La publication [d’un] modèle auprès de l’Office allemand des brevets et des marques suffit à justifier de la divulgation du modèle tel que publié, au sens de l’article 11 du règlement [(CE) n°6/2002 du 12 décembre 2001], et que celui-ci pouvait être connu des milieux spécialisés et concernés.
Par conséquent, la [demanderesse] est fondée à solliciter le bénéfice de sa protection, pendant une période de trois ans, à compter de la date de cette publication.
Selon l’article 9.2 du règlement 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, le dessin ou modèle communautaire non enregistré ne confère à son titulaire le droit exclusif d’interdire à tout tiers de l’utiliser sans son consentement, que si l’utilisation contestée résulte d’une copie du dessin ou modèle protégé.
En l’occurrence, le modèle tel que déposé auprès de l’Office allemand des brevets et des marques ne dispose pas d’un bras télescopique destiné à fixer le guidon, ni d’un bac de rangement pour outil avec un compartiment aimanté, alors que le modèle argué de contrefaçon dispose de ces équipements.
La [demanderesse] relève qu’il s’agit d’accessoires amovibles qui ne sauraient avoir de conséquence sur la date de la divulgation du modèle au sein de l’Union européenne. Néanmoins, la présence de bras télescopique et de cette tablette sur le produit argué de contrefaçon modifie son apparence générale alors qu’il est présenté au public muni de ces accessoires et exclut la copie du modèle enregistré auprès de l’Office allemand des brevets et des marques par la [demanderesse], en ce qu’il constitue un modèle communautaire non enregistré.
Par ailleurs, la [demanderesse] soutient que son modèle a été commercialisé en France dans les magasins Lidl (…). [Mais les pièces qu’elle produit] n’établissant pas suffisamment [sa] divulgation auprès du public français – dans les formes dont elle sollicite la protection – antérieurement à la mise sur le marché du produit querellé, elle sera déboutée de sa demande présentée au titre de la contrefaçon, sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur le caractère individuel ou non du pied pour vélo dont elle demandait la protection ».
Observations
1- Le Tribunal avait à se prononcer sur la notion de divulgation, point de départ du délai de protection de trois ans du DMCNE, au sens de l’article 11 du règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001, la question étant ici de savoir si le dépôt d’un modèle publié auprès d’un Office National dans la Communauté Européenne, en l’occurrence l’Office Allemand des Brevets et des Marques, vaut divulgation.
Le Tribunal estime à juste titre que la publication du modèle revendiqué auprès de l’Office Allemand est suffisante pour justifier de sa divulgation au sens de cet article dans la mesure où celui-ci pouvait ainsi « être connu des milieux spécialisés concernés ».
Un dépôt de modèle, dès lors qu’il a été publié dans l’un des pays de l’Union moins de trois ans avant les faits argués de contrefaçon, peut donc permettre au déposant de se prévaloir d’un DMCNE.
Le dépôt national de modèle n’est donc qu’un moyen parmi d’autres de justifier de la divulgation du DMCNE au « milieu spécialisé du secteur concerné opérant dans la Communauté ».
Rappelons d’ailleurs que la CJUE a admis que la transmission d’un modèle à un commerçant peut également valoir divulgation, la Cour ayant écarté la thèse restrictive qui était défendue par certains auteurs et selon laquelle « les milieux spécialisés » visés dans cet article n’incluraient que des personnes « ayant une influence conceptuelle sur le design du produit », comme les fabricants par exemple (CJUE, 3è ch., 13 fév. 2014, aff. C-479/12H Gautzsch Grosshandel Gmbh & Cokg / Münchener Boulevard Mödel Joseph Duna Gmbh, Prop. Industr. n° 4, 2014, p. 37-38, note L. Marino).
La notion de divulgation au sens de l’article 11 du règlement est ainsi entendue de façon très large ce qui conduit à une meilleure protection du DMCNE, comme le confirme cette décision du Tribunal.
2- Mais le dépôt ayant servi à démontrer la divulgation du DMCNE ne comportait cependant pas tous les éléments revendiqués du modèle. En outre, le demandeur avait été dans l’incapacité de prouver que l’exploitation qu’il en avait faite comportait ces éléments et correspondait exactement, dans toutes ses caractéristiques, au modèle argué de contrefaçon.
Le Tribunal le déboute donc fort logiquement de son action en contrefaçon en rappelant qu’en application de l’article 19.2 du règlement, le DMCNE « ne confère à son titulaire le droit exclusif d’interdire à tout tiers de l’utiliser sans son consentement, que si l’utilisation contestée résulte d’une copie d’un dessin ou d’un modèle protégé ».
La « copie » se différencie en effet de l’imitation, cette dernière reprenant «….seulement certaines des caractéristiques du modèle sans le reproduire en sa totalité et aboutit à un résultat similaire et non pas identique » (TGI Paris 19 nov. 2010 PIBD 2011.935.III.197).
Et c’est ainsi que récemment la Cour d’appel de Paris a pu retenir (pour un modèle de chaussures) la contrefaçon de droits d’auteur mais considérer en revanche que l’action en contrefaçon n’était pas fondée sur le terrain du DMCNE au motif que « les chaussures incriminées ne [constituaient] pas la copie du modèle communautaire non enregistré au sens de l’article 19 du règlement de par l’ajout [d’une] bande de cuir ou de velours » (CA Paris Pôle 5 ch. 2, 6 déc. 2013 RG 12/17382 Sté La Redoute c/ Sté Minelli).