- Par arrêt du 12 septembre 2019, la CJUE a dit pour droit que : « L’article 2, sous a), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une législation nationale confère une protection, au titre du droit d’auteur, à des modèles tels que les modèles de vêtements en cause au principal, au motif que, au-delà de leur objectif utilitaire, ceux-ci génèrent un effet visuel propre et notable du point de vue esthétique » (CJUE, 12 sept. 2019, Aff. C683/17)
La Cour avait été saisie par la Cour Suprême du Portugal, dans le cadre d’un litige qui concernait des vêtements, de deux questions préjudicielles relatives à la portée du principe du cumul entre la protection des dessins et des modèles et la protection par le droit d’auteur.
Compte tenu des dispositions de la législation portugaise sur le droit d’auteur qui incluent les œuvres des arts appliqués mais ne précisent pas le degré d’originalité qui est requis pour que de telles œuvres puissent bénéficier de cette protection, la juridiction portugaise « se demande s’il convient de considérer, à la lumière de l’interprétation de la directive 2001/29 [sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information]… , que la protection assurée par le droit d’auteur bénéficie à de telles œuvres au même titre qu’à toute œuvre littéraire et artistique, et donc à la condition qu’elles revêtent un caractère original, en ce sens qu’elles sont le résultat d’une création intellectuelle propre à leur auteur, ou s’il est possible de conditionner l’octroi de cette protection à l’existence d’un degré spécifique de valeur esthétique ou artistique » (point 24 de l’arrêt).
La Cour rappelle tout d’abord que la directive 98/71 et le règlement 6/2002 sur les dessins et modèles ont entendu consacrer le principe du cumul de la protection spécifique des dessins et modèles et la protection par le droit d’auteur (points 44 et 45) mais que ce « cumul ne saurait être envisagé que dans certaines situations » (point 52), « … la protection des dessins et des modèles, d’une part, et la protection assurée par le droit d’auteur, d’autre part, [poursuivant] des objectifs foncièrement différents et [étant] soumis à des régimes distincts » (point 50).
En France, la Cour de cassation s’est déjà prononcée en ce sens à plusieurs reprises en jugeant que les deux régimes de protection « n’imposent pas un cumul total ou de plein droit des protections, mais autorisent seulement un tel cumul lorsque les possibilités respectives des différentes protections sont satisfaites » (Cass. com., 29 mars 2017, n° 15-10.885. – Cass. crim., 26 nov. 2013, PIBD 2014, n° 999, III, 122).
Pour qu’un objet, comme un vêtement, puisse être qualifié d’œuvre originale par le droit d’auteur, la CJCE précise que « … la circonstance qu’un modèle génère un effet esthétique ne permet pas, en soi, de déterminer si ce modèle constitue une création intellectuelle reflétant une liberté de choix et la personnalité de son auteur… » (point 54), la notion « d’effet esthétique susceptible d’être produit par un modèle [étant] le résultat de la sensation intrinsèquement subjective de beauté ressentie par chaque personne appelée à regarder celui-ci [et ne permettant] pas de caractériser l’existence d’un objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité… » (points 53 et 54).
La CJUE rappelle en effet que « la nécessité d’écarter tout élément de subjectivité, nuisible à la sécurité juridique, dans le processus d’identification dudit objet suppose que ce dernier ait été exprimé d’une manière objective » (point 33) et que ne répond pas à cette exigence « … une identification reposant essentiellement sur les sensations, intrinsèquement subjectives, de la personne qui perçoit l’objet en cause » (point 34).
Tel sera le cas, comme la Cour l’a jugé dans une autre affaire à laquelle elle se réfère dans cet arrêt, d’une saveur d’un produit alimentaire qui ne « saurait être qualifiée « d’œuvre » au sens de la directive 2001/29… », toutes « possibilités d’une identification précise et objective [faisant] défaut » (CJUE, 13 nov. 2018, aff. C-310/17, points 41 et 42).
Il en est de même pour les fragrances de parfums vis-à-vis desquelles, pour les mêmes raisons, toute protection par le droit d’auteur doit rester fermée.
En revanche, les modèles, dont le périmètre de la protection peut être défini objectivement, sont quant à eux « qualifiables « d’œuvres », au sens de la directive 2001/29… » (point 48) et ils peuvent donc bénéficier de la protection par le droit d’auteur s’ils sont originaux, l’originalité devant être appréciée de façon objective, toute considération relevant d’un point de vue esthétique ou artistique devant être exclue.
Il est probable que cette décision, qui concernait la législation portugaise, n’aura pas d’impact sur la jurisprudence française qui applique rigoureusement ces principes depuis longtemps (Droit des dessins et modèles interne et communautaire. Juin 2018 – Mai 2019, par Jean-Christophe Galloux et Pascal Kamina, Dalloz 1er août 2019, n° 1582).