Dessins et modèles
Caractère individuel. Portée du dépôt. Effets de la description sur l’étendue de la protection
Pour apprécier le caractère individuel d’un dessin ou d’un modèle, la comparaison doit porter uniquement sur les éléments protégés figurant sur les représentations du dessin ou du modèle tel qu’il a été enregistré.
TUE 21 juin 2017 Aff. T286/16
Note :
Le droit des dessins et des modèles ne protège le dessin ou le modèle que tel qu’il est représenté lors de son enregistrement et non tel qu’il est décrit par celui qui invoque ce droit.
C’est ce que rappelle cet arrêt en soulignant que la portée du droit exclusif se détermine par référence à la reproduction graphique ou photographique contenue dans le dépôt sans qu’il soit possible de faire état de caractéristiques qui n’apparaissent pas dans ses vues (dans le même sens CA Paris 26 janv. 2016 PIBD 2016 n° 1045, III, 214. – CA Paris 12 janv. 2016 PIBD 2016 n° 1044, III, 174).
Il importe donc que les photographies puissent distinguer clairement toutes les caractéristiques du dessin ou du modèle.
En l’espèce, le Tribunal juge qu’à défaut d’avoir procédé à une représentation suffisamment complète de son modèle, il s’agissait en l’occurrence d’un abattant de toilettes (!), le requérant ne peut, pour échapper à la nullité de son dépôt, invoquer des éléments qui n’y figurent pas.
Le Tribunal rappelle par ailleurs qu’en application de l’article 36 § 6 du règlement n° 6/2002 la description fournie par le requérant lors de l’enregistrement de son modèle est dépourvue de tout effet juridique sur l’étendue de la protection, « l’objet et l’étendue de la protection d’un dessin ou d’un modèle enregistré [n’étant] déterminés que par les vues qui sont fournies lors de l’enregistrement et ne peuvent être remplacés, ni complétés par la description » (point 44 de l’arrêt ; dans le même sens CA Paris 6 avr. 2005 PIBD 2005 n° 813, III, 479).
Aux termes de l’article 4.1 e) du règlement 2245/2002 du 21 octobre 2002, le dessin ou le modèle reproduit doit en outre être « d’une qualité suffisante pour distinguer clairement tous les détails de l’objet pour lequel la protection est demandée ».
Il convient donc, selon cet article, que le dépôt permette de discerner les caractéristiques de la forme du modèle, et donc l’étendue de sa protection, à défaut de quoi il ne peut être considéré comme valable.
Le TUE a, dans un autre arrêt, ainsi estimé que cette exigence était « inhérente à tout enregistrement, à savoir permettre au tiers de déterminer avec clarté et précision tous les détails du dessin ou du modèle pour lequel la protection est demandée. Ainsi, des représentations qui seraient imprécises ne permettraient pas au tiers de déterminer de manière non équivoque l’objet de la protection du dessin ou du modèle considéré » (TUE, 9 fév. 2017, Aff. T16/16 points 45 et 46).
C’est également en ce sens que s’est prononcée la Cour d’appel de Paris en jugeant qu’un dépôt de modèle dont les représentations étaient de mauvaise qualité devait être annulé faute « de définir suffisamment les caractéristiques [de sa forme] et donc l’étendue de sa protection » (CA Paris 12 sept. 2012 PIBD 2012 n° 972, III, 765).
Il en est de même lorsqu’il s’agit d’apprécier la contrefaçon, seul le dépôt, qui fixe l’étendue du droit, étant pris en compte. C’est ainsi que le Tribunal de grande instance de Paris a pu rejeter une action en contrefaçon de modèle de lunettes (de vue cette fois-ci !) dont les branches avaient été copiées au motif que le dépôt faisait principalement apparaître la face de la monture qui était quant à elle différente de celle du modèle incriminé (TGI Paris 11 déc. 2015, 3ème ch 3ème sect., n° 13/15734).
Sans remettre en cause le principe selon lequel il n’est pas possible de faire état de caractéristiques étrangères au dépôt, la Cour de justice a néanmoins fait preuve d’une certaine approximation en jugeant que pour apprécier le caractère individuel d’un dessin ou d’un modèle « il [n’est] pas erroné de prendre en compte, lors de l’évaluation de l’impression globale des dessins ou modèles en cause, les produits effectivement commercialisés et correspondant à ces dessins ou modèles… dans la mesure où, en matière de dessin ou modèle, la personne qui procède à la comparaison est un utilisateur averti qui se distingue du simple consommateur moyen… » (CUCE 20 oct. 2011 Aff. C281/10, point 73).
Pour apprécier le degré de proximité des modèles comparés, il est donc possible de prendre en considération les produits tels qu’ils sont commercialisés mais à la condition « … que ce produit réel, qu’il soit invoqué directement ou par l’intermédiaire d’une photographie, corresponde à l’application exacte du dessin ou modèle. La charge de la preuve à cet égard incombe à la partie qui se prévaut de ce produit réel » (TUE 12 mars 2014 Aff. T315/12, point 42).
La jurisprudence française a entériné la jurisprudence communautaire en prenant en compte le produit effectivement commercialisé, dès lors qu’il correspond au titre invoqué, peu important, par exemple, que celui-ci ait été déposé en noir et blanc ou dans des couleurs différentes du « produit réel ».
Le Tribunal de grande instance de Paris a ainsi jugé que la représentation graphique d’un modèle enregistré « n’a pas à représenter toutes les déclinaisons possibles dès lors qu’elle révèle sans contestation possible que le modèle est composé de plusieurs éléments distincts qui sont précisément revendiqués ce qui est le cas en l’espèce puisque le modèle a été déclaré valable » et qu’en conséquence « il peut être tenu compte de la commercialisation du modèle enregistré dans différents coloris si ces produits correspondent en tous points au titre invoqué » (TGI Paris 7 sept. 2017 3ème ch. 1ère sect, n° 16/09508. – Dans le même sens TGI Paris 3ème ch. 3ème sect. 8 avr. 2016 PIBD 2016, n° 1052, III, 532).